AU-DELÀ DU MOTU PROPRIO

Études
Pierre de Charentenay Jésuite.
Rédacteur en chef


Le motu proprio « Summorum pontificum ", publié le samedi 7 juillet par Benoît XVI, a fait autant de bruit dans les médias qu'il a troublé les esprits de chrétiens.
Le public a pu être perturbé, en effet, par les reportages et les commentaires, à la radio comme à la télévision, qui donnaient une soudaine visibilité universelle à la messe en latin, comme si elle devenait une possibilité comme une outre et était centrale dons les questions relatives à la foi.
En réalité, le texte du motu proprio, comme la lettre du Pope qui l'accompagne, fait du Missel de 1962 en latin une forme extraordinaire de la liturgie, et maintient l'usage du Missel de Paul VI comme « la forme normale de la liturgie eucharistique ".
Dans une homélie du dimanche suivant, un prêtre des Alpes a trouvé les mots pour remettre cet événement à sa place : un geste de réconciliation qu'il importe de faire là où quelques groupes le demandent, mais une liturgie qui continue sous le mode ordinaire, car on serait bien en peine d'utiliser une langue que l'on ne connaît point.
Pour évoquer cette distance de la majorité de l'Église par rapport au latin, rappelons que la réforme liturgique a été votée dès la première session du Concile par 98 % des évêques du monde, il y a près de cinquante ans.
Un prêtre de la région parisienne, interrogé sur la messe en latin, répondait: « Je suis préoccupé par un problème autrement grave: l'une de mes églises est occupée depuis trois mois par des sans-papiers, sons que l'on voie de solution à ce conflit. " celte réflexion en dit long sur le décalage entre les préoccupations des uns et des outres.

Que, dans certains monastères ou quelques paroisses, des messes en latin soient dites ne pose pas de problème majeur, c'est déjà le cas aujourd'hui; et, dans leur majorité, les diocèses ont trouvé une coexistence entre ces rites.
Si, ici ou là, les négociations sont plus difficiles, c'est plutôt le statu quo qui l'emportera, sans bouleversement.
Mais les chrétiens du fond de l'église, ceux qui ne sont pas les plus actifs et qui suivent d'un peu loin la vie ecClésiale, risquent d'être troublés par tant de commentaires, et dans l'incertitude quant à leur fidélité.
Espérons que la poix liturgique tant réclamée trouvera ici sa forme définitive, sans esprit de conquête ou de revanche.

Mais, l'ampleur de ce débat a quelque chose d'inquiétant, car il semble fermé sur lui-même, réglant des comptes avec un passé mal digéré.
Les cris de victoire de la Fraternité Saint Pie X - « La tradition n'a pas encore gagné la guerre, mois elle vient certainement de remporter une importante bataille » - manifestent que, derrière l'usage d'un rite, la demande est tout outre.
Les commentaires de Mgr Bernard Fellay, successeur de Mgr Lefebvre, le confirment : « Notre constance à défendre la lex orandi a été prise en compte. C'est donc avec la même fermeté qu'il nous fout poursuivre, avec l'aide de Dieu, le combat pour la lex credendi, le combat de la foi.» L'article de Bernard Sesboué sur « L'lnstitut du Bon Pasteur» (cf. Études, juin 2007, p. 779-792) avait montré que la division dépassait une querelle de rite et qu'une scission demeurait à l'intérieur même de la communion entre prêtres, puisque les membres de l'Institut du Bon Pasteur sont dispensés de toute participation à une concélébration de la messe de Paul VI.
Si ces deniers veulent vraiment retrouver la communion ecclésiale, pourquoi n'acceptent-ils pas la communion eucharistique?
Le débat lancé par le motu proprio n'est donc pas clos.

Pourtant, dans la période qui suivra la publication de ce texte, on ne pourra s'arrêter à débattre de questions internes à l'Église.
Elle doit s'affronter à la culture d'aujourd'hui, c'est-à-dire remplir sa mission d'évangélisation dons le mande de ce troisième millénaire.
Or, les conditions de cette mission sont considérablement différentes, non seulement par rapport à la mission d'origine, mais aussi par rapport aux années du concile Vatican Il.

Nous assistons, en effet, à un mouvement de fond qui modifie totalement les données de cette mission d'évangélisation : une disjonction radicale entre la foi chrétienne et la culture.
Cette séparation ne signifie ni la disparition de la foi chrétienne, ni celle de l'Église du Christ; mois elle rend l'exercice de sa mission beaucoup plus difficile qu'autrefois, parce que la culture ne soutient plus la pratique chrétienne.
Le Breton, disait-on jadis, perdait la foi en arrivant à la gare Montparnasse ! Aujourd'hui, ce n'est plus seulement Dieu qui change en Bretagne* (selon le titre d'un livre célèbre il y a vingt ans), ce sont tous les chrétiens qui sont en difficulté dans une modernité difficile à vivre.