Éditions Obsidiane

Gérard Cartier

Méridien de Greenwich

(Prix Max Jacob, 2001)
 

Méridien de Greenwich (2000), écrit dans le souvenir de l'Angleterre où l'auteur a vécu plusieurs années, traite le thème de la séparation amoureuse. Le livre est composé de 3 séries 19 lettres, en forme de "sonnets-et-demi", adressés à la femme aimée : Est-il jouyssance qui vaille cette privation ? disait Montaigne.



Critiques

Ainsi le poème prend-il la première place, dans cet amour de l'amour, qui sait ne pas pouvoir satisfaire le désir. Si les impressions suscitées par les paysages d'Angelterre et les rencontres sont nombreuses dans ces poèmes, l'effacement de l'aimée en tant que corps à désirer y est primordial, corps-pour-la-mort d'emblée, autant que celui du poète, devenu voix de l'univers. Cette atmosphère particulière, exprimée avec le souci du travail formel le plus adéquat, fait de ce recueil un des plus notables de ceux qui viennent de paraître.       Marie-Claire Bancquart (Europe, Janvier 2001)



Extraits


Les docks
.VI.

Ce qui est peut parfois nous combler
Mais plus précieux ce qui manque Seul à ma page
Face au carreau nu que frappe le vent d’est
Comme une femme à son miroir La main suspendue
Et l’oreille fermée je te cherche Jamais
Rien de l’autre
... L’absence est un bien
Que rien n’égale Rien n’est comme la distance
Délectable Tracer d’une encre malhabile
Les formes de la beauté L’épaule le front bombé
Et les lèvres mobiles Rien comme le silence
N’est fertile Je retrouve un instant
Ce que tous ont su autrefois Frissonnant
Dans cette chambre dressée sur l’eau noire
Retenant le mot qui dira d’un seul souffle
Le don et la privation...


Les hautes terres
.VII.

Au-delà du rempart d’Hadrien où se livre
Le nord Seul avec les mouches insistantes
Et le souffle des phoques gris Je recule
Couché au pied de la lande des origines
Et je réinvente pour toi l’humanité
La plume appuyée sur un galet courtaud
Retrouvant dans sa grotte entre la cendre et l’eau
La vierge du silex Celle qui souffre et porte
L’arbre des générations la chair gonflée
Par le sperme et le lait Seule la forme importe
Seule elle fait don du monde C’est pourquoi
Déguisant le hasard je trace sur la pierre
Une image éblouie L’encre des yeux les seins
Bosses de grès blanc les cuisses Et le désir
Une imperfection des formes...


Saint-Mary de Battersea
.IV.

Au jardin d’Hildegarde la vue est à l’Est
L’ouïe à l’Ouest Au Sud est l’odorat le goût au Nord
Et au centre est le toucher car toute connaissance
Y est enfermée Quand les êtres imparfaits
Rompent l’équilibre et mêlent leurs souffles
Qu’un feu noir dans leurs bras réchauffe la cornue
Où bouent les humeurs Quand ceux qui ne sont qu’à demi
Sont unis L’oreille et l’œil aveugles la langue morte
Et le nez tranché Que leurs reins se contractent
Que d’avance ils éprouvent une ondée brûlante
Ils sont dans leur châlit comme des mystiques
Approchant un secret fulgurant Il n’est pas
D’être si imparfait qu’il ne possède en soi
La plénitude de la perfection Qu’un autre être
Ne suffise à révéler...


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