Article scanné à partir de la publication de
Marianne du 9 – 15 mai 2009
Les
médias en font-ils trop?
Sur
les OGM
aussi...
LE
PUBLIC ATTEND
Difficile de plaider
à contre-courant quand
personnalités et médias attisent les peurs.
OGM, trois petites
lettres qui font peur, comme désormais l'emballement de la science. La faute à
Hiroshima, à Tchernobyl. La faute au sang contaminé, à la vache folle, aux
effroyables échos de l'histoire dès que l'on touche au génome. La faute aux
journalistes, surtout, qui résistent rarement à mettre en scène les monstres
qui s'échappent parfois des laboratoires quand les Dr Frankenstein ont trahi le
progrès. Notre collaborateur Jean-Claude Jaillette
fut de ceux-là. En 1996,
il signe
dans Libération
un
dossier titré «Alerte au soja fou », déchaînant ainsi l'inquiétude des Français. Mais
il poursuit l'enquête, avec patience et entêtement. « Le dossier est d'une
complexité extrême, cela facilite les raccourcis et les mensonges, admet-il aujourd'hui. Il existe beaucoup plus
d'études sérieuses démontrant l'innocuité des OGM que l'inverse.
Malheureusement, elles sont portées par des gens bien moins médiatiques que les
travaux qui alimentent les peurs, relayés par des José Bové
ou des Nicolas Hulot. Or, que veut le public? Il veut du catastrophisme! Il
veut entendre que la science s'est vendue à l'industrie pour réaliser des profits à court terme, au mépris
des générations futures. »
Voilà pourquoi, treize ans plus tard, le
journaliste repenti livre un plaidoyer documenté pour sauver les OGM*.
Une enquête indispensable pour sortir le débat
de la peur, et de l'idéologie pure. Ch.L.
"Sauvez les OGM, de Jean-Claude Jaillette, Hachette littératures, 248 p., 16,50 €.
Le
grand mensonge
Le public attend un discours systématiquement
catastrophique sur 1'industrie, agroalimentaire en particulier. Les simplifications
et les raccourcis qui permettent de lui en offrir sans discernement constituent
un mensonge, pour ne pas dire une manipulation.
Le mensonge politique a changé de camp. Du camp
du pouvoir politique et des industriels - soyons justes, les uns comme les
autres, ils ne livrent la vérité que sous la contrainte des citoyens -, il a
gagné celui qui incarne le contre- pouvoir et la désobéissance civile. Comment
en est-on arrivé là ? Pourquoi aucun nouveau contre- pouvoir capable de
s'opposer à ce mensonge ne s'est-il développé, alors que l'
enjeu est ni plus ni moins l'avenir alimentaire de la planète? [ ... ]
Peu importent les écrits, les publications, leur
qualité, leur caractère contradictoire, les comités d'experts qui les ont validés:
une seule vérité compte, celle de la soumission à l'industrie des
scientifiques qui considèrent comme légitime la recherche sur les OGM. Et le
silence vis-à-vis du grand public dans lequel les scientifiques se sont murés
laisse le champ libre à ceux qui occupent les médias, qui fauchent et qui
utilisent les tribunaux comme autant de forums.
UN
DISCOURS CATASTROPHISTE
Qui, hors les cercles
d'experts, a pris conscience de l'importance des travaux des chercheurs qui
ont supplié le gouvernement de préserver la recherche sur les OGM? [ ... ] Une
des méthodes les plus sûres et les moins contestées pour évaluer la pertinence
d'un scientifique consiste à recenser le nombre de s~s publications et la
qualité des revues dans lesquelles il publie. Or, c'est un fait, incontestable,
ils publient bien plus que ceux qui volent au secours des faucheurs
volontaires, et les revues qui abritent leurs publications sont parmi les plus
prestigieuses. Autrement dit, ils travaillent davantage, ils s'exposent
davantage à la critique de leurs pairs qui, selon la tradition scientifique,
jugent de la qualité de leurs travaux et de l'intérêt de leur publication. Mais
voilà, personne n'explique au public enclin au catastrophisme que toutes les
paroles ne se valent pas, que les injures de Nicolas Hulot ne valent pas les
mises en garde d'un prix Nobel.
produire ou cesser de se reproduire, il faudra choisir
Il faut sauver les OGM.
Il faut les sauver pour que la recherche contribue à relever un défi auquel la
planète est confrontée, celui de nourrir 9 milliards d'humains en 2050 ; et alors même que
l'agriculture mondiale peine à en nourrir aujourd'hui 6,7 milliards. Un
milliard et demi d'humains souffrent de la faim, 3,5 milliards sont juste
au-dessus du seuil de famine, malnutris. Les OGM au secours de la famine?
[ ... ] Depuis 2006, l'Institut national de la
recherche agronomique (Inra) a analysé les équilibres possibles des systèmes
alimentaires et agricoles mondiaux à l'horizon 2050. Les premiers résultats ont été publiés en juin 2006. On y découvre notamment
que la disponibilité alimentaire apparente moyenne est passée, de 1961 à 2003; de 2 500 à 3000 kcal/jour/habitant, mais
qu'elle est très inégalement répartie (de 2 400, avec 60 g de protéines et 48 g de lipides en Afrique
subsaharienne, à 4000,
avec 125 g de protéines et 165 g de lipides dans les
pays de l'OCDE) et que 850
millions
d'humains sont toujours sous-alimentés. [ ... ] On y apprend en outre qu'en
quarante ans la surface cultivée pour nourrir un habitant a été divisée par
deux. En moyenne, le rendement de la production agricole a donc doublé, alors
que les surfaces cultivées n'ont augmenté que de I3 % et que les surfaces
irriguées ont doublé. Pourrat -on progresser à ce rythme, alors que les écarts
de rendement d'une région du monde à l'autre se sont accrus (ils allaient de 1 à 2 en 1961, ils vont de 1 à 3,4 aujourd'hui) ? « Supposer une consommation moyenne de 3 000 kcal par jour et par
personne dans toutes les zones du monde à l'horizon 2050, estime l'Inra, implique une remise en
cause radicale des tendances passées d'évolution dans ce domaine. De même,
supposer que les terres agricoles pourront croître demain nécessite de
s'interroger sur les investissements nécessaires à cette fin ou sur les
impacts environnementaux. »
Michel Griffon, auteur de
Nourrir
la planète (1), responsable du programme
« Développement durable» de l'Agence nationale de la recherche, peu favorable
aux OGM, partage la même analyse: « Tout cela indique un probable resserrement des
marchés internationaux de produits agroalimentaires, avec une raréfaction
accrue des ressources qui affectera les consommateurs et les producteurs
pauvres. Dans l'ensemble, les politiques actuelles, la raréfaction croissante
de l'eau et des sols et les changements climatiques annoncés devraient empêcher
l'accroissement de la production alimentaire» (2).
Mais alors, comment faire?
Engager la planète dans une réduction écolo malthusienne de la population? Au
profit des plus riches, des plus forts et des plus développés? Accroître la
production? « Cela
suppose la mise en culture de réserves foncières non encore exploitées, notamment
en Afrique sub-saharienne et en Amérique latine », pronostique de l’INRA –
qui cependant juge les risques de la pression écologique insoutenables -, et notamment
s'attaquer un peu plus à la forêt. Cruel dilemme.
C’est
précisément parce que les OGM constituent une des solutions pour surmonter
toutes ces contradictions que l'intensification de la recherche portant sur
les plantes transgéniques est indispensable. Accroître les réserves de
nourriture tout en préservant les équilibres écologiques, c'est possible. [ ...
]
Philippe Gay [1'«
inventeur» du premier maïs transgénique Bt] aime à
rappeler quelques chiffres que devraient garder à l'esprit tous ceux qui se
posent la question de la faim dans le monde: « Pour nourrir un homme, il
faut aujourd'hui 300 kg de céréales par an, de riz, de blé, de maïs, de manioc,
de sorgho, etc. Un milliard de plus, c'est 300 millions de tonnes
supplémentaires par an. Trois milliards de plus, 900 millions de tonnes. » Peut
-on dès lors «désinventer» une technologie qui
promet d'améliorer les qualités nutritionnelles des céréales par effacement des
éléments qui en réduisent le rendement alimentaire? •
(1) Odile Jacob, 2007.
(2) « Alimentation,
l'état d'urgence ",
Journal du CNRS, n° 224,
septembre 2008
9 au 15 mai 2009/ Marianne 15