Voici une lettre écrite en 1905, par Claude-Marie GUILLOUX, et qui a été publiée par la Semaine Religieuse d'Autun du 3 février 1906

Une Lettre de Chine.

Un prêtre du diocèse nous communique une lettre du R.P.Guilloux, procureur et visiteur des missions lazaristes à Shanghaï, dont nous sommes heureux de faire part à nos lecteurs :

 

Sur le fleuve Khan, entre Kingan et Nantchang (Kiangsi), le 12 décembre 1905.

Mon très cher neveu,

C'est à Kingan, dans le Kiangsi méridional, que j'ai trouvé ta lettre du 16 octobre, en y arrivant la veille da l'Immaculée-Conception.

Parti de Shanghaï le 7 novembre, à bord d'un vapeur anglais, j'étais à Rionkiang le 10. Là, après avoir visité avec beaucoup d'intérêt les œuvres de nos confrères et des Filles de la Charité, j'ai été retenu trois jours par un grand vent qui n'aurait pas permis de m'aventurer sur le lac Poyang, que j'ai traversé ensuite en un jour sur un frêle bateau à vapeur chinois.

En débarquant à Yao-Tchéoufou, à l'est du lac, j'ai été reçu par Mgr Vic, vicaire apostolique du Kiangsi oriental, et par cinq confrères qui m'attendaient. J'ai été heureux de voir là nos établissements presque entièrement relevés de leurs ruines, et de visiter l'unique léproserie que nous ayons en Chine. Croirais-tu que ces pauvres lépreux, malgré leur état lamentable, savent encore être gais ?

Mgr Vic, qui est la bonté même, m'a ensuite fait parcourir son vicariat du nord au sud. Sauf les trois premiers jours, pendant lesquels nous avons navigué fort lentement sur le Kin-Kiang, nous ne sommes descendus à terre que pour célébrer la sainte messe, vers onze heures, le jour de la Présentation de la très sainte Vierge, dans une petite chapelle qui se trouvait sur notre passage; nous avons ensuite toujours pu loger dans des résidences de missionnaires. Le premier directeur du district que nous ayons rencontré est M. Gonon, du diocèse de Belley, mais originaire des environs de Mâcon, et dont l'oncle a été un des fondateurs de l'École de Rimont. Il venait de recevoir de sa famille de bons petits fromages, dont j'ai mangé depuis presque tous les jours; il y avait longtemps que je n'avais goûté de ce mets! Trois autres confrères du district étaient venus me voir chez M. Gonon à Koei-Ki.

Après avoir passé un jour et deux nuits avec eux, nous nous sommes remis en route; mais désormais nous irons à cheval ou en chaise à porteurs, faisant une dizaine de lieues par jour. Je ne me croyais pas si bon cavalier! Mais quels chemins! Ce sont de petits sentiers, encore plus mauvais dans les vallées, à travers les rizières, que sur les nombreuses collines qu'il faut franchir, car sur les hauteurs, ils sont généralement assez larges, tandis que dans les vallées on est exposé à tomber dans les rigoles presque chaque fois que l'on rencontre des brouettes venant dans un sens contraire.

Oh! les brouettes, quel magnifique moyen de transport dans le Kiangsi oriental! Et de fait, pas d'autre véhicule, pas même des ânes, pas une charrette. Ce qui ne se transporte pas en brouette se porte en deux paniers à l'aide d'un bambou sur les épaules. Les porteurs comme les brouettiers peuvent faire ainsi leurs dix lieues par jour; nous avions un porteur et un brouettier pour transporter nos couvertures et autres petits bagages.

Nous avons ainsi visité huit ou neuf résidences avant d'arriver à la ville épiscopale de Foutchéou-Fou.

Partout j'ai été heureux de trouver des œuvres prospères et des missionnaires pleins de zèle et d'ardeur pour mieux faire encore. Au Kiangsi les progrès de l'évangélisation sont plus lents que dans le nord et surtout qu'à Pékin, où il y a eu 13668 baptêmes d'adultes durant l'exercice 1904-1905; mais le mouvement de conversion s'y fait sentir également.

J'ai oublié de te parler des produits du pays, que je croyais plus riche qu'il n'est en réalité. Il est vrai qu'on y rencontre de belles vallées très fertiles, mais les parties montagneuses sont encore plus étendues, et beaucoup de ces montagnes sont presque nues ou couvertes d'arbustes de toutes sortes et surtout de sapins peu élancés. Cependant on y trouve en abondance le camélia sauvage qui produit une graine dont on fait une huile excellente. Le Kiangsi oriental produit moins de thé que le méridional, et surtout le septentrional. Mais je ne dois pas oublier les oranges et les pamplemousses que l'on voit dans tous les jardins. En ce moment encore la température est très douce, et les fleurs et les fruits semblent unir l'automne au printemps.

A partir de Foutchéou-Fou, j'ai été privé de l'aimable compagnie de Mgr Vic; mais il m'a fait conduire successivement par deux confrères de son vicariat, jusqu'à la plus proche résidence du Kiangsi méridional, environ quarante lieues de Foutchéou à Kingan.

Le premier jour nous avons rencontré un énorme tigre tué depuis plusieurs jours, et que six hommes portaient d'une ville à une autre pour en vendre les os, encore plus chers que la peau. Il paraît qu'on en fait une médecine très fortifiante. Mais pour prouver que c'étaient bien là des os de tigre, il fallait conserver la bête tout entière, malgré la puanteur, par une température de 20 à 25 degrés à l'ombre que l'on avait ces jours-là à cette latitude de 26° à 27°.

Je n'ai eu qu'une fois à coucher à l'auberge, mais quelle auberge! C'était comme une vaste grange, qui contenait sans ordre les brouettes et les paniers, ainsi que les chaises à porteurs et les harnais des animaux, puis quelques mauvaises tables et quelques petits bancs, sans parler des marmites et autres ustensiles de cuisine. On ne voyait pas de lits; par faveur j'ai dormi avec mon confrère dans une petite chapelle de Boudha, qui n'a pas dû être trop satisfait de nos dévotions.

Enfin, le 7 décembre, je suis arrivé à la ville épiscopale du Kiangsi méridional, dont le vicaire apostolique, Mgr Coqset, est un ancien missionnaire de Pékin; je l'avais connu là deux ans, de 1885 à 1887, et revu à Shanghaï en 1902. Là aussi les œuvres ont repris un nouvel élan. Malgré la distance, on y trouve un établissement des Filles de la Charité (œuvre de la Sainte-Enfance, hôpital, asile de vieillards, catéchuménat) et même une école de Français tenue par des frères Maristes, dont l'un est de Varennes-sous-Dun.

Un télégramme de Shanghai est venu presser mon retour; voilà pourquoi je me suis embarqué le plus tôt possible, sur la barque de la mission, assez bien aménagée pour qu'on, puisse célébrer la sainte messe. Je n'ai avec moi qu'un domestique de Mgr Coqset, et le vent du nord ralentit la marche, cela me permet de t'écrire si longuement, quoique avec peu d'assurance à cause du roulis. Il me faudra près de quatre jours pour arriver à la capitale du Kiangsi, Nan-Tchang, où je déposerai ma lettre.

Me voici dans le vicariat du Kiangsi septentrional. Après avoir visité à la hâte les œuvres de Nan-Tchang, je prendrai un petit vapeur pour me rendre à Rionkiang, sur le fleuve Bleu, et j'espère être à mon poste le 19 ou le 20.

Non seulement ce voyage m'aura fait connaître des œuvres auxquelles je dois m'intéresser, mais il me semble qu'il aura été très utile à ma santé. Le climat de Shanghaï et la vie que je dois y mener m'avaient beaucoup débilité; maintenant, je sens les forces revenir, grâce à Dieu.....................

Dans ta prochaine lettre, dis-moi quelle situation vous est faite maintenant ? Depuis mon d‚part de Shanghai je n'ai plus lu de journaux. . . . . . . .

 

 

C.-M. GUILLOUX.

Le R. P. Guilloux ajoute en post-scriptum : "Continuez à bien prier pour moi et la province dont je suis chargé; et cherchez nous donc des ouvriers apostoliques; que de bien à faire ici!" Ceux qui voudraient entendre cet appel, bien souvent transmis dans ces derniers temps, pourraient s'adresser au R. P. Guilloux, visiteur et procureur des missions lazaristes à Shanghaï (Chine).