Voici une lettre écrite en 1900, par Claude-Marie GUILLOUX, et qui a été publiée par la Semaine Religieuse d'Autun du 10 novembre 1900

Lettre de Chine.

Nous sommes heureux de mettre sous les yeux de nos lecteurs une lettre de M. Guilloux, vicaire général de Mgr Favier et procureur des Lazaristes à Tientsin. M. Guilloux appartient au diocèse d'Autun, il est originaire de Trivy. Comme Mgr Favier, M. Guilloux est Lazariste. Il est parti en Chine à l'âge de vingt-neuf ans, en 1885. Au début des troubles, il a été mis par plusieurs journaux au nombre des missionnaires massacrés par les Boxeurs. Grâce à Dieu, il n'en était rien. Renfermé dans Tientsin pendant le siège, du 17 juin au 14 juillet, avec deux mille chrétiens ou catéchumènes réfugiés, il est sorti sain et sauf de ces terribles angoisses. Voici la dernière lettre qu'il écrit à sa ramille .

Péking, le 15 septembre 1900.

Mon cher Frère,

Probablement, beaucoup ne me croient plus de ce monde. Faites prier pour moi, c'est fort bien, c'est même nécessaire; mais pas encore de service funèbre, s'il vous plaît. Je suis vivant et en bonne santé.

Je suis à Péking pour quelques jours; c'est pour aider un peu Mgr Favier. Son coadjuteur, Mgr Jarlin, a fait une forte maladie après le siège; le procureur de la mission est au lit; beaucoup de confrères sont fatigués après de si longues souffrances. Il est juste que je vienne leur donner un coup de main.

A Tientsin, nous avions souffert aussi, mais moins longtemps et nous avons déjà un peu oublié nos malheurs.

A Péking, le siège a duré plus de deux mois; on manquait de vivres et surtout on finissait par désespérer d'être secouru. C'était, encore plus qu'à Tientsin, une longue agonie.

Pauvre mission de Péking !

Trois grandes églises ont été entièrement détruites dans 1'intérieur de la ville, et une en dehors des murs. Il ne reste que la cathédrale, près de laquelle s'étaient réfugiés environ trois mille chrétiens, sans compter le séminaire et l'orphelinat.

Un autre groupe de chrétiens, environ deux mille, qui avaient pu échapper à la mort, au moment de l'incendie des églises, s'était réfugié près des légations, où il a été protégé par les soldats européens. A Tientsin, nous avons pu en sauver environ deux mille. Dans huit autres centres de la mission, Il y a environ vingt-cinq mille chrétiens, groupés autour de leurs missionnaires et encore assiégés par les boxeurs. Nous pressons le général commandant le corps expéditionnaire français de leur porter secours au plus tôt, en envoyant des colonnes de différents côtés; mais les distances effraient un peu. Nous attendons incessamment le général Voyron.

Tu vas me demander si nous avons perdu des missionnaires et beaucoup de chrétiens. Il est mort jusqu'ici sept prêtres dans ce vicariat: quatre Européens et trois Chinois, et parmi les quatre Européens, trois étaient curés des différentes paroisses de Péking.

Parmi les trois prêtres chinois, deux étaient mes vicaires, à l'extrémité‚ de mon district de Tientsin. Quant aux chrétiens, nous ne pouvons pas encore savoir le nombre des morts, il faudrait dire des martyrs; nous pensons qu'il s'élèvera probablement à dix mille! Et, encore une fois, il ne s'agit que de notre mission de Péking.

Ailleurs, ce sont les mêmes atrocités. En Mandchourie, l'évêque a été brûlé dans l'église avec un ou deux missionnaires et une grande quantité de chrétiens. En Mongolie et au Chansi, plusieurs évêques et un grand nombre de missionnaires et de religieuses ont été massacrés par l'ordre des mandarins. Mais je n'entre pas dans le détail; tous les journaux doivent être pleins de ces affreuses nouvelles.

Je reviens à notre chère mission de Péking. L'église cathédrale du Peï-Tang, bâtie en 1887 par Mgr Favier, a été terriblement endommagée. A l'orphelinat des sœurs, tout près de la cathédrale, quatre mines creusées par les boxeurs ont détruit la moitié de ce magnifique établissement et enseveli une quarantaine d'enfants et vingt femmes qui venaient d'être baptisées, sans parler d'un grand nombre d'employés.

Malgré tous ces malheurs, tout le monde répète, les laïques aussi bien que les missionnaires et les sœurs, que si les assiégés, tant Européens que chrétiens indigènes, n'ont pas tous été massacrés ou ne sont pas tous morts durant un si long siège, soutenu contre des ennemis si nombreux et si acharnés, c'est un vrai miracle, c'est un fait inexplicable humainement.

Tout le monde était de cet avis au déjeuner qui a suivi dernièrement un Te Deum d'actions de grâces et auquel avaient été invités tous ceux qui avaient pris part à la délivrance du Peï-Tang, entre autres deux officiers japonais que Mgr Favier a vivement remerciés.

A l'heure qu'il est, la Chine est dans un bion triste état à tous les points de vue: toutes les missions sont ruinées; comment nos chrétientés vont-elles passer l'hiver? Aucun ne peut encore retourner dans son village, et d'ailleurs toutes leurs maisons sont détruites! Rien que dans le vicariat de Péking, plus de dix grandes églises ont été brûlées, sans parler des chapelles des chrétientés. Et comment cette guerre finira-t-elle ?

Péking est occupé militairement et a été complètement livré au pillage! Que nous réserve l'avenir?

Encore une fois, priez et faites bien prier pour la Chine, afin que le bon Dieu ne l'abandonne pas entièrement.

Bien affectueusement dévoué à vous tous en Notre-Seigneur.

C.-M. GUILLOUX.