Notice nécrologique du Père Philibert CLEMENT,

publiée en 1934 dans le Bulletin Catholique de Pékin

 

 

MONSIEUR PHILIBERT CLÉMENT

Missionnaire Lazariste

(1868-1933)

Ainsi que nous le promettions dans notre numéro de Janvier, voici quelques mots sur la physionomie, les vertus et la féconde carrière du fondateur de cette Revue.

Nous possédons, hélas! peu de renseignements sur l'enfance et la jeunesse du P. Clément. Très modeste et humble, il ne parlait jamais de lui-même, de sa famille, et fort peu de ses années de ministère en France. Ce que nous savons, c'est que du côté maternel il était héritier de la foncière piété d'une famille aux mœurs patriarcales qui fournit à l'église tant de vocations missionnaires et religieuses, dont Mr Claude-Marie Guilloux, de pieuse mémoire, ex-Visiteur Provincial des Lazaristes en Chine, son oncle maternel.

C'est précisément ce dernier qui, en vue de pourvoir l'église du Quartier des Légations à Pékin d'un desservant pieux et expérimenté dans le ministère paroissial, en remplacement du P. Capy, déjà avancé en vieillesse et au bout de ses forces, attira son neveu, Philibert Clément, en Chine.

Quand celui-ci arriva à Pékin, le 5 Décembre 1910, il était déjà d'un âge mûr. Né le 31 Janvier 1868 à Trivy (Diocèse d'Autun), reçu bachelier, après de brillantes études secondaires, il suivit les études philosophiques et théologiques au Séminaire diocésain où il obtint le diplôme de Licencié en Théologie.

Tour à tour vicaire à St-Vallier, chapelain à Paray-le-Monial, curé à Vitry-en-Charollais, à Bellevue et enfin à Montceau-les-Mines, il venait au milieu de nous avec un bagage considérable de connaissances pratiques et une grande expérience du gouvernement des âmes. Ce qui ne l'empêcha pas, aussitôt reçu au Noviciat de la Congrégation de la Mission, dite des Lazaristes, de se plier avec soin et en toute simplicité aux mille exercices du règlement, édifiant les jeunes séminaristes par la promptitude et la plénitude de son obéissance jusque aux plus petits détails.

Après sa première année de probation, il fut affecté aux œuvres des missions à l'est de Pékin, à Ta k'eou-t'ouen. Là aussi il fit preuve d'un zèle à toute épreuve et dans l'étude de la langue du pays, chose ardue pour tous et surtout pour lui âgé déjà de plus de 44 ans, et dans le soin de s'informer humblement auprès de plus jeunes que lui des us et coutumes des Chinois. Rien ne le rebutait; et loin de se décourager des sourires que provoquait son élocution chinoise et des doutes exprimés sur la possibilité pour lui d'apprendre le chinois et comprendre la mentalité chinoise, faisant sienne la maxime de Guillaume le Taciturne, il aimait à redire: "Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer! " Et courageusement, de tout son cœur, il persévérait dans cette étude.

C'est au milieu de ces occupations que, en Mai 1912, vint le trouver l'ordre de se rendre immédiatement à Pékin en qualité de Curé de l'église St Michel. Là, 22 ans durant, il donnera, sans une minute de défaillance, toute sa mesure dans le gouvernement des âmes, malgré les innombrables difficultés que comporte une telle paroisse dont le troupeau de fidèles est nécessairement mouvant et peu homogène. A l'étude du Chinois, qu'il poursuit vaillamment, il ajoutera celle de l'Anglais afin d'entrer plus complètement en contact avec toutes ses ouailles. Voulant intéresser ses fidèles il fondera un Bulletin paroissial, "L'Echo de St Michel" où il annoncera les offices et leur sens, recommandera les œuvres et conseillera de bonnes lectures. Il s'ingéniera à briser la monotonie, cherchant des prédicateurs pour les cérémonies spéciales, ornant avec goût son église, et s'efforçant de relever la solennité des offices par la présence de quelque dignitaire ecclésiastique!

A toute heure il est à la disposition des fidèles, recevant :leurs confidences, donnant ses conseils éclairés, ces mots de consolation qui vont droit au cœur, et, sans compter, ses aumônes aux nombreux nécessiteux qui viennent frapper à sa porte.

Malgré ces occupations, déjà si absorbantes, il soignera fidèlement ses catéchismes, soit au nombreux personnel de l'Hôpital St Michel dont il est l'Aumônier actif, soit dans les établissements scolaires de sa Paroisse; il y prêchera des retraites, préparera les enfants à la première communion. Et ce prêtre fervent, par sa direction spirituelle, suscitera parmi ses dirigées de belles et généreuses vocations de Filles de la Charité, Franciscaines Missionnaires de Marie, Carmélite.

N'est-ce pas déjà là beaucoup pour occuper le zèle d'un prêtre? Non! pas assez pour son cœur qu'il a su modeler sur celui du Divin Sauveur pendant les années où fut chapelain aux lieux mêmes où ce Divin Cœur se manifesta à Ste Marguerite-Marie. Sa soif des âmes semble extinguible: et c'est Nan-kang tze, localité située en dehors de la porte de Ha tee-men, en pleine ville chinoise. Il y établit plusieurs œuvres: orphelinat de garçons, ouvroir, écoles, une chapelle de secours où il groupe les catholiques des environs. Il y va souvent prêcher et dire la Ste Messe, quitte à biner afin d'y assurer la célébration tous les jours fériés. Reçoit il quelque don? c'est pour Nan-kang-tse. Perpétuellement il restaure, aménage, agrandit, et même il avait l'intention de lancer cette année des travaux assez importants pour la construction d'une véritable église dédiée à Ste Thérèse de Lisieux. Et on se souvient, sans doute, de son cri de détresse au cours des notices biographiques qu'il consacra dans cette Revue, à l'occasion de la mort de deux de ses bienfaitrices insignes, pour Nan-kan-kang-tse et sa future église, les Sœurs Vincent Savarèse et Marie Bonamy. Il était alors loin de penser qu'il nous quitterait lui même avant d'avoir réalisé ce couronnement de I'œuvre de son cher Nan-kang-tse. Il eut là une belle moisson de fruits spirituels, entre autres notons 58 baptêmes d'adultes en 1931, 90 en 1932 et 75 en 1933, pour ne citer que ces trois derniers exercices.

Est-ce encore assez pour son zèle ? Non, pas encore! On dirait que son cœur ardent veut embrasser toute la Chine; et c'est la fondation du "Bulletin Catholique de Pékin", suivie de près par celle du "Sacerdos in Sinis", qu'il dirigera sans défaillance vingt ans durant. Il voulait, par ces deux publications périodiques, entretenir dans l'âme du prêtre, pour qui l'isolement est un si grand péril, la pensée constante de l'apostolat et de la sainteté personnelle. C'était, deux fois par mois, un appel et un encouragement qu'il eût voulu adresser à tous. Qui dira quels bons effets eurent les humbles revues dans ces lointaines résidences où des Missionnaires, jeunes encore, sont exposés à l'ennui, au découragement! Il voulait la conversion des infidèles et la ferveur dans les paroisses par la sanctification des pasteurs. Cette intention le soutenait dans son labeur d'animateur des Missionnaires, auquel il consacrait tous ses instants libres entre deux occupations de son ministère paroissial, sacrifiant un repos bien mérité. Et l'on peut dire qu'il consacra les derniers instants même de sa vie à ces chères revues; car, une heure à peine avant sa mort il mettait la dernière main à deux articles, l'un sur l'œuvre de la Propagation de la Foi, qui paraît dans ce numéro même, l'autre pour le Sacerdos in Sinis, qui marque la fin d'un article signé de lui.

Voilà en raccourci le vaste champ de labeur de ce vrai prêtre, comme on aime à redire de lui surtout depuis sa mort. Bel éloge qui, pour concis qu'il soit, ne renferme pas moins l'attestation des nombreuses qualités que tous se plaisent à reconnaître en notre regretté Confrère.

Un vrai prêtre, c'est d'abord un homme loyal et droit, un saint et un travailleur. Monsieur Clément était tout cela, et tous ceux qui ont eu l'occasion de le fréquenter étaient grandement édifiés de constater en lui ces belles qualités. Loyal, il l'était, jamais ne s'excusant d'un engagement pris ou niant une promesse donnée. Sans ostentation Il reconnaissait la parole dite, et si quelquefois, entre confrères, elle prêtait flanc à quelque malice, il subissait volontiers l'innocente gaieté soulevée par son rappel. C'était aussi un homme droit: il n'aimait pas les détours de langage et quand, dans la conversation, il percevait quelque diplomatie, car il était aussi très fin, son regard seul disait toute la désapprobation et le dédain qu'il avait pour ces sortes d'habiletés. Dans ses paroles la vérité était donnée nette et sans ambages, et pourtant jamais d'une façon blessante, Devait-il ou croyait-il devoir avertir d'un ennui à éviter ou d'un moyen à prendre, il le faisait d'un ton si calme et si aimable que personne ne s'en offusquait, Enfin, quand il s'était trompé, il le reconnaissait de bonne grâce.

Un vrai prêtre est encore un saint cultivant pratiquement toutes les vertus dans tous les détails quotidiens de sa vie. La vertu de M. Clément n'était pas mesquine. Pas de petitesse en lui, homme de grand et noble cœur plein de charité. Lui demandait-on un service qu'il pût rendre, aussitôt il s'y donnait sans crainte de se compromettre ou de dire des vérités à quelque haut personnage, ce qui n'est pas toujours sans danger. II était vraiment bon, et jamais la moindre médisance n'était faite par lui. Il arrêtait net et confondait les calomniateurs et détracteurs du prochain, quel qu'il fût. Son indignation dans ces circonstances se manifestait toute entière et sa parole mordante fermait impitoyablement la bouche aux menteurs et aux médisants. Par contre, dans une conversation de bon aloi, et quand il en avait le temps, il était d'un commerce charmant, C'était un plaisir de lui faire raconter, ce qu'il faisait toujours de bonne grâce, son pèlerinage à Rome ou ses conférences contradictoires de Montceau-les-Mines.

Il fut aussi volontairement pauvre, ne s'accordant rien de superflu et se refusant parfois l'utile, à peine usant du strictement nécessaire. Doit-il traverser la ville, il va à pied ou, s'il est pressé, il prend le tramway où, sans se plaindre. il subit patiemment les manières peu courtoises des voyageurs. Sa nourriture et ses vêtements sont pauvres; à ce propos, notons en passant qu'on a parfois reproché à notre regretté Confrère sa mise quelque peu négligée: c'était là sa seule originalité, pas recommandable sans doute, mais en somme bien excusable quand on songe à son excellente intention même en cela: il n'y a pas de petites économies pour lui, et il économisera le plus possible, et tout cela ira aux pauvres et à ses œuvres de Nan-kang-tse.

C'était donc un prêtre vertueux; il fut aussi un grand travailleur. Toujours occupé, jamais préoccupé, à chaque rencontre il a quelque chose à vous demander, un renseignement à obtenir, une idée à vous soumettre. Il dessert la paroisse St Michel, visite l'hôpital et ses malades, catéchise et confesse au pensionnat, fait du ministère à Nankang-tse et y entretient les œuvres, rédige le Bulletin Catholique de Pékin et le Sacerdos in Sinis. 11 s'occupe de Tracts et de bien d'autres choses. A chaque instant il est pris. On reste rêveur devant la somme de travail de ce colosse réalisateur, et l'on se sent porté à se demander si pour M. Clément une journée comporte plus de 24 heures, heures de travail! A ceux qui se déroberont devant le manque de temps, pour un travail qu'il leur demande, il répondra avec ingénuité: "Non, vraiment, j'ai de la peine à le croire! quand on veut, on trouve toujours le temps." Et lui même, il voulait toujours, il voulait servir sans relâche. Et à ce propos, qu'on nous permette de citer ici un mot d'un vénéré Vicaire Apostolique, vrai évêque missionnaire, qui se dépense sans compter. Il nous disait récemment, parlant de notre regretté Directeur: "Le P. Clément? Quel bûcheur! ... J'ai honte de moi-même en pensant à sa vie si occupée, et je dirai si utilement occupée,.. jusque in extremis!" Quel témoignage, venant Surtout de la part d'un tel ouvrier évangélique !

Subitement ce cher Confrère nous fut enlevé. Le 16 décembre dernier, vers 11 heures du soir, il souffre d'étouffements; oppressé, il ne peut plus respirer: on le conduit immédiatement à l'Hôpital St Michel, où, grâce aux bons soins dont il est l'objet, la santé semble revenir au bout de quelques jours. Si bien que de suite il veut reprendre son ministère avant même les fêtes de Noël. Déjà le 22 au matin, il quitte l'Hôpital pour aller chanter une Messe de Requiem dans son église, puis il rentre à l'Hôpital qu'il compte quitter définitivement le lendemain matin, et se met à la rédaction de ses Revues. Et vers midi il succombe à une crise cardiaque. II vient à peine de demander pour d'autres le repos éternel, que déjà on le demande pour lui-même. II est mort en plein travail, en pleine activité, les mains et les lèvres encore embaumées de la suave odeur du Sacrifice qu'il vient d'offrir. "Sa dévotion au Sacré-Cœur, comme nous l'écrit si bien un vénérable Missionnaire de ses amis et zélés collaborateurs, lui aura rendu le dernier passage facile et paisible: il aura vu le mitis et festivus aspectus de Notre Seigneur qu'il a si bien servi, et du haut du Ciel, le zélé Missionnaire continuera et fortifiera son action sur les âmes, comme il est dit dans son dernier article du Sacerdos in Sinis."

Oui, Bon Père Clément: du haut du Ciel, où sans doute vous priez déjà pour nous, donnez nous le secret de votre zèle calme et tranquille, de votre si aimable charité, afin que, marchant sur vos traces, nous puissions continuer votre œuvre et accomplir par cette Revue que vous avez fondée, dirigée et tant aimée, ce que vous désiriez encore faire ici-bas.

LA RÉDACTION.