Notice nécrologique de Claude-Marie GUILLOUX, missionnaire en Chine, rédigée par son neveu Philibert CLEMENT qui était également missionnaire en Chine. Cette notice a été publiée dans le Bulletin Catholique de Pékin de Janvier 1925.

 

Un télégramme, reçu de Kiashing le 25 décembre, nous a appris la douloureuse nouvelle du décès de M. Claude-Marie Guilloux, prêtre de la Congrégation de la Mission, visiteur de la Province méridionale des Lazaristes et directeur des Filles de la Charité en Chine.

Une crise très grave de maladie de cœur, survenue vers la fin du mois de juillet dernier, laissait prévoir cette fatale issue. Une lettre écrite par M. Guilloux le 23 décembre, l'avant-veille de sa mort, et arrivée à Pékin le 28, disait, en réponse à des vœux de bonne année et de meilleure santé: ".... Mais je n'espère pas vivre de longues années: le cœur ne s'y prête pas" (C'est lui qui a souligné). Et il ajoutait: "Durant ma retraite, faite , au commencement de décembre, je ne me suis guère occupé que de la préparation à la mort, et je tâche de bien employer le peu de temps qui me reste".

Cette mort, survenue relativement à l'improviste, ne l'a donc pas surpris; elle termine une longue carrière de missionnaire, toute entière employée pour Dieu et les âmes.

 

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Claude-Marie Guilloux, en chinois Liou-ko-ming, naquit le 10 janvier 1856, à Trivy, diocèse d'Autun, département de Saône-et-Loire. Son père et sa mère étaient originaires de Verosvres, paroisse limitrophe, pays natal de Sainte Marguerite-Marie; et le village, où il vint au monde, est juste aux dernières déclivités d'un coteau sur l'autre versant duquel se trouve le village natal de l'Apôtre du Sacré-Cœur. Il était le douzième enfant de la famille, et avec lui quatre de ses sœurs se consacrèrent à la vie religieuse. Parmi ses frères et sœurs, quatre eurent un total de neuf de leurs enfants prêtres ou religieuses.

Au mois de janvier 1870, il commença à aller prendre quelques leçons de latin chez un curé du voisinage. On raconte, dans le pays, qu'il avait coutume d'emporter le lundi matin la provision de pain pour la semaine.

Au mois d'août de la même année, il entra au Petit Séminaire du Semur-en-Brionnais, où, dans une classe d'une force peu commune, il se maintint constamment aux premiers rangs, et se distingua par sa piété et sa vertu. Il fut président de la Congrégation de la Sainte Vierge, et il conserva toute sa vie des relations d'amitié très fidèle et très vive avec plusieurs de ses anciens condisciples, devenus prêtres dans le diocèse d'Autun.

Pendant ses vacances, il édifiait tout le monde par sa piété et sa régularité, partageant volontairement la vie dure des travailleurs de la campagne.

 

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Après avoir passé deux ans au Grand Séminaire d'Autun, il entrait le 9 octobre 1878 au Séminaire interne de Saint-Lazare à Paris. Il prononça les Saints Vœux devant le Très Honoré Père Fiat le 10 octobre 1880. Ordonné prêtre par Mgr Touvier, vicaire apostolique d'Abyssinie, le 8 juin 1882, il resta à la Maison-Mère, durant quelques mois, en qualité de sous-directeur du Séminaire interne; puis, il fut envoyé au Grand Séminaire de Saint-Flour, où il professa deux ans la Philosophie et un an le Dogme. Il avait conservé le meilleur souvenir de ses chers Auvergnats, qui, nous le savons, le lui rendaient bien.

Il fut rappelé subitement de là pour être envoyé en Chine (1885). Il fut très impressionné alors des félicitations qu'il reçut de M. Armand David, le missionnaire et explorateur bien connu, pour la destination qui venait de lui être donnée.

Désormais, il appartient tout entier à la Chine, où il va passer tout le reste de sa vie. Lors de la traversée, commencèrent avec divers membres de sa famille des correspondances suivies et fréquentes, qui ne s'arrêteront plus jusqu'à sa mort, et où, avec les années s'accentuera encore la note de bonté, d'édification et de piété, qui en faisait le charme et l'utilité.

Il eut pour compagnons de voyage deux confrères MM. Festa et Watson. Comme ce dernier était anglais, ce fut pour M. Guilloux, toujours avide de ne ras perdre son temps, une occasion de se perfectionner en anglais, où il put acquérir une force peu commune, qui devait, dans la suite, lui être très précieuse à Tientsin et à Shanghai.

Arrivé à Pékin le 6 octobre 1885, il allait appartenir, durant vingt ans, à la Mission de Pékin et y travailler de tout son cœur et de toutes ses forces. Il se mit avec entrain à l'étude du chinois. Jeune -il n'avait pas trente ans- après les difficultés inévitables du début, dont il ressentit vivement les petits ennuis, Il devint assez vite très expert; et il aimait, dans la suite, à constater qu'il lui avait été très utile d'apprendre complètement par cœur le Catéchisme chinois, et comment, dans ses premières missions, il se faisait lire, chaque soir, dans les diverses stations, par son fidèle siencheng, la méditation du lendemain, dans le Meou siang pao kien.

Après un court séjour à Pékin, il fut placé à la tête de la paroisse de Ta-koo-toun, où l'un des vétérans du clergé de Pékin, le Père Heou, se glorifie de lui avoir alors donné des leçons de chinois.

M. Guilloux fut, de là appelé pour aller fonder le collège de Saint-Louis à Tientsin, sur la demande des résidents européens de cette ville, aidé de M. Geurts, depuis vicaire apostolique de Young-ping-fou (Tchely oriental. A l'arrivée des Frères Maristes, qui prirent en mains la direction du Collège et l'ont toujours gardée depuis, M. Guilloux occupa provisoirement (1889) le poste de directeur du district de Pao-ting-fou, dépendant alors de Pékin, et depuis érigé en vicariat apostolique.

Il fut ensuite nommé curé de Si-ho-ing, gros village de vieux chrétiens, auxquels il se donna avec son entrain coutumier, prêchant, recrutant des catéchumènes, visitant les stations, suscitant des vocations, installant un collège. Des lettres nombreuses écrites par lui de ce poste, et encore conservées montrent qu'il avait l'âme de missionnaire, l'enthousiasme à froid, qui s'alimente dans une foi profonde et une tendre piété, et trouve toute sa joie dans le dévouement total au travail de sa vocation.

Il fut rappelé de Si-ho-ing pour se voir confier le poste important de Procureur et de Directeur à Tientsin (1894). Très déférent et très dévoué avec les Européens, en bonne intelligence avec eux, autant que son devoir le lui permettait, il a gardé, même après son départ, les meilleurs relations avec plusieurs d'entre eux; et M. Kahn, consul de France et Israélite, dont tout le monde sait la compétence extraordinaire dans les choses de Chine et qu'il a bien mérité des Missions Catholiques, a rendu de M. Guilloux le plus bien veillant témoignage.

Mais, à Tientsin, le ministère auprès des Européens ne lui faisait pas oublier les Chinois, et il donna une vigoureuse impulsion à l'évangélisation de ce district, qui depuis a été érigé en vicariat distinct.

Le Bulletin des Missions Catholiques, en 1897, témoigne de la part que M. Guilloux, directeur du district et curé de Tientsin, prit, avec M. Favier, vicaire général de Pékin et M. Gérard, alors ministre de France, à la restauration et à l'inauguration de l'église Notre-Dame des Victoire (Haileou), restée en ruines depuis les tristes événements du 21 juin 1870.

M. Guilloux était à Tientsin pendant le siège des Boxeurs en 1900. Il eut à souffrir et surtout à travailler beaucoup, parmi les Européens et parmi les Chinois, avec son vicaire M. Desrumaux. Les journaux d'Europe annoncèrent alors sa mort; mais tout le mal se borna à une très douloureuse infirmité des yeux, résultat des privations et de la fatigue, qui disparut très difficilement.

C'est pendant le siège de Tientsin que, pour plus de sécurité vis-à-vis des soldats étrangers, et après plusieurs incidents dangereux, M, Guilloux abandonna le costume chinois et se fit faire en hâte une soutane, qu'il a depuis toujours continué à porter.

Après la tourmente des Boxeurs, vers la fin de 1900, il fut appelé à Pékin, en qualité de vicaire général de Mgr Favier, et se vit confier la double direction du Grand et du Petit Séminaire du Pé-t'ang, avec la charge des Joséphines ou Religieuses Indigènes. Là aussi, il était tout entier à ses fonctions, à la foi ferme et bon, aimant ses séminaristes et ses religieuses, qui, de leur côté, le lui rendaient bien, et qui, après 19 ans écoulés, lui gardent un souvenir fidèle et reconnaissant.

M, Guilloux, vers la fin de son séjour à Pékin, passait pour un des missionnaires qui savaient le mieux la langue chinoise du Nord, et cette connaissance, jointe à ses autres qualités, lui permit, dans ces dernières fonctions, de donner toute sa mesure de missionnaire zélé et complet.

 

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Nous devons signaler que dans les premiers temps de son séjour à Pékin, vers 1888, M. Guilloux employa les loisirs de ses vacances à mettre en œuvre, dans une brochure d'une centaine de pages, les éléments depuis longtemps rassemblés d'une notice sur sa mère, destinée à conserver aux membres de sa nombreuse famille le souvenir des bons exemples d'une chrétienne, très pieuse, très vertueuse et très dévouée.

Plus tard ses fonctions de directeur du Grand Séminaire lui donnèrent l'occasion d'écrire un compendium, substantiel et clair, des Cérémonies de la Messe, très heureusement disposé, et qui a été réédité par l'Imprimerie du Pé-t'ang.

Enfin, c'est lui qui commença, sur la prière de Mgr Favier, à rassembler les notes pour un Commentaire des Facultés du Vicariat de Pékin, notes qu'il remit, à son d‚part, à M. Fabrègues, alors directeur du district de Pao-ting-fou, et qui ont formé les premiers éléments des si utiles "Adjumenta" publiés par Mgr Fabrègues en 1914.

 

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Il est juste aussi de mettre, en face de ses travaux en Chine, sa très heureuse influence dans son pays natal et principalement dans sa famille. Il y fut essentiellement éveilleur de vocations. Il y a quelques mois, le Bulletin des Vocations de son diocèse d'origine constatait qu'il y avait dans la paroisse natale de M. Guilloux- une paroisse de 800 âmes- douze prêtres encore actuellement vivant, dont cinq étaient ses neveux, sans compter les nombreuses vocations de religieuses. Presque chacun de ses rares passages dans sa famille fut l'occasion de l'entrée de l'un de ses neveux au séminaire.

 

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Les attaches très fortes et très aimées de M. Guilloux avec le vicariat de Pékin, et particulièrement sa parfaite connaissance de la langue du Nord, firent qu'il lui fut très pénible de recevoir de son Supérieur général, en 1905, la nomination au poste de Visiteur des Lazaristes et de Directeur des Filles de la Charité, qui entraînait le séjour à Shanghai, ou au moins dans le Sud, dont la langue est si différente de celle de Pékin.

Selon sa coutume, il se mit vaillamment à sa tâche, sans s'attarder à des regrets inutiles. Depuis la division de cette Province en Chine Méridionale et Chine Septentrionale, il resta Visiteur de la Province Méridionale et directeur des Filles de la Charité dans toute la Chine.

Les témoignages ont commencé déjà à nous arriver, sur le dévouement paternel, très surn3turel et très patient, à la fois mélangé de bonté et de fermeté, qu'il montra dans son rôle de Directeur des Filles de la Charité, pour les aider, selon leur plus cher désir, à être dignes de leur si belle vocation.

Nous ne croyons pas commettre d'indiscrétion, en disant que la Visitatrice des Filles de la Charité en Chine nous déclarait, lors de la très grave crise de cœur que M. Guilloux eut en juillet dernier, que rien n'était touchant comme les témoignages de respectueuse affection et de filiale reconnaissance venus de toute les maisons de la Province, à qui l'on avait demandé de prier pour que le Bon Dieu voulût bien lui conserver son dévoué Directeur.

Avec les missionnaires, dans les rangs desquels il avait été longtemps et pratiquement, il cherchait à garder très net l'idéal de la vocation; il ne craignait pas ses peines pour certaines visites plus lointaines et plus difficiles. Frère aîné et ami, autant et plus que supérieur, sachant que les missionnaires ont besoin d'être visités et de se sentir connus, soutenus et aimés par leurs Supérieurs, il était avec eux, avant tout, bon et encourageant. Jamais morose, volontiers enclin à une aimable plaisanterie, toujours d'un calme imperturbable au milieu des affaires, des soucis et des difficultés inévitables; toujours d'une fidélité simple, exemplaire et courageuse, sans scrupule et sans étroitesse, aux règles de sa Congrégation, il avait gagné l'estime, le respect et l'affection de tous. Vers les dernières années, on remarquait que la bonté dominait, en même temps que sa piété, qui fut toujours très vive, particulièrement envers le Sacré-Cœur de Jésus et la T. S. Vierge, devenait plus tendre et plus profonde.

 

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Nous avons la confiance que le Bon Dieu, pour lequel il a tant travaillé, lui aura fait miséricorde et l'aura reçu déjà dans son Paradis; mais nous savons que, selon l'esprit de l'Eglise et la prudence chrétienne, les prières ne lui manqueront pas, ni de la part de ses confrères, ni de la part des Filles de la Charité, et de ses nombreux amis.

Nous finissions d'écrire ces quelques pages, lorsque nous avons reçu une lettre d'un confrère qui disait: "Je dois à M. Guilloux une reconnaissance toute spéciale, puisque c'est lui qui m'a appelé aux Ordres sacrés; il m'est toujours resté pour lui une respectueuse estime, surtout établie sur ce fait que je voyais en lui ce type de missionnaire tel que le voulait Saint Vincent. Le bon exemple qu'il a donné; les œuvres qu'il a administrées; cette longue vie si féconde pour le service de Dieu: quels gages consolants pour le Ciel! Voilà comment je voudrais avoir vécu ma vie de prêtre et de missionnaire!"

Nous demandons à tous ceux qui ont connu et aimé M. Guilloux, - quand même ils pensent qu'il a été vraiment le bon serviteur du Père de famille - de lui faire cependant la charité de leurs prières .

PH. CLÉMENT, C.M.

 

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-8 Janvier. Les lettres reçues depuis que cette notice était écrite, nous ont appris que M. Guilloux, après avoir travaillé encore toute la journée du 24 décembre, après avoir une dernière fois dit son chapelet et achevé son office, s'est éteint doucement, au cours d'une dernière crise de cœur, entouré de soins dévoués et muni d'une dernière absolution et de l'extrême-onction, vers 1 heure du matin, dans la nuit de Noël; au moment où, dans la chapelle toute proche, s'achevait la Messe de Minuit; et à l'instant même où la communauté du Séminaire de Kiashing chantait le Gloria in excelsis Deo des Anges à la Crèche.