Chers Frères et Chères Sœurs,

C'est pour vous que j'ai écrit ces quelques pages à la mémoire de notre Mère : c'est pour la faire revivre, en quelque sorte, au milieu de vous, et pour vous aider à transmettre à ses petits-enfants, avec le souvenir de ses vertus, le précieuse héritage de ses exemples.

Depuis bien des années déjà, Notre-Seigneur, m'avait inspiré la pensée de faire ce travail, et toutes les personnes, supérieurs, parents ou amis, auxquelles j’avais communiqué mon projet, m'a­vaient conseillé de le mettre (exécution. Dès 1879,  une de nos sœurs m'écrivait : « Je loue la bonne idée dont tu me parles ; elle vient certainement du Ciel; je l'approuve de tout cœur, j'en suis en­chantée ! Il serait trop regrettable que les descen­dants de notre sainte Mère  ne connussent pas la vie pleine de mérites de leur vertueuse aïeule. Car, s'il n'y a rien d'extraordinaire dans celte vie, on peut dire que toutes les actions qui la composent ont été bien faites. A mon avis, cette belle âme n'a jamais commis de péché véniel de propos délibéré tout en elle était si parfait. » Une autre ajoutait, un peu plus tard : « Notre chère Mère a mené une vie bien simple, mais admirable et en même temps imitable: il est grandement à désirer qu'un si beau modèle ne tombe pas dans l'oubli. »

Je me sentais pressé par de si sages considéra­tions, et il me semblait que j’aurais manqué à mon devoir en résistant à tant d'instances qui m'é­taient faites. Ce qui acheva de me déterminer, peu de temps après h mort de notre Mère, ce fut l'avis d'un juge très compétent, M. l'abbé Gelet, mon ancien professeur de Philosophie.  « Laissez-moi vous offrir, m'écrivait-il au mois d'octobre, 1883, laissez-moi vous offrir bien fraternellement, mon bon ami, mes vives condoléances louchant la mort de votre pieuse et sainte Mère. C'est une bonne et salutaire pensée que celle que vous avez d'écrire la vie de celte femme simple cl douce, humble et charitable, vrai modèle de la femme forte, de la mère de famille. Ce sera un louchant hommage que vous rendrez à celle à qui vous devez tout après Dieu et Marie; ce sera une consolation pour vous et les vôtres, une édification pour ceux qui vous liront et une prédication éloquente pour tous. N'hésitez donc pas à réaliser un si bon, un si fi­lial projet, qui vient du Ciel et que le Ciel bénira. »     Après un tel encouragement, en effet, je ne pouvais plus hésiter. Cependant, je ne me dissimulais pas les difficultés de l'entreprise : il fallait, pour écrire une biographie intéressante, un talent que le bon Dieu ne m'avait pas donné; il fallait des loisirs que ma vocation ne pouvait guère m'accorder ; il fallait enfin des documents que je ne pos­sédais pas. C'étaient là autant d'obstacles diffici­les à surmonter ; mais je pouvais faire quelque chose, et, me disais-je, le peu que je ferai, sera bien accueilli par toute la famille, j'en suis sûr.

Je me mis donc à l'œuvre, en commençant par recueillir les matériaux nécessaires pour élever ce modeste monument en l'honneur d notre sainte Mère. Je m'adressai à vous, mes chers frères et mes chères sœurs, et tous vous vous êtes empressés de payer à celle que nous pleurions votre tribut d’amour, de reconnaissance et d'admiration. Ces pieux et touchants souvenirs, que vous avez pui­sés dans vos cœurs pour me les communiquer, vous les retrouverez dans ce petit livre, où je me suis efforcé de les reproduire aussi fidèlement que pos­sible.   Vous  remarquerez sans   doute quelques inexactitudes ; mais j'aime à croire qu'elles seront sans importance et que vous voudrez bien les ex­cuser en tenant compte de la distance qui nous sépare et qui m'a empêché de vous demander des renseignements plus précis. Pardonnez-moi de vous avoir fait attendre trop longtemps ce recueil si ardemment désiré; je vous prie de croire que c'est la Providence elle-même qui a voulu un si long retard. Quels ont été en ce­la ses desseins adorables ? Je l’ignore; mais il me semble qu'une biographie écrite au fond de la Chine et imprimée par la Mission de Péking vous sera encore plus chère que si elle avait vu le jour en France.

Pour calmer enfin votre juste impatience, j'ai dû dérober quelques rapides instants à des occu­pations incessantes et d'une grande importance. Aussi te style et l'intérêt de mes récits en souffri­ront-ils et laisseront-ils beaucoup à désirer. Mais la simplicité de la forme n'en sera que mieux en l'apport avec l'esprit de celle que nous voulons louer. D'ailleurs, ses vertus brilleront assez d'elles-mêmes, et j'aurais eu grand tort en cherchant à ajouter un éclat étranger à leur beauté toute pure. El puis je dois vous déclarer, mes bien-aimés, que c'est avec le cœur que j'ai écrit ces pages souvent arrosées par de douces larmes, et ce qui part du cœur plaît toujours. Oui, c'est mon cœur, autant que mon esprit, qui a dirigé ma plume: j'ai écrit par amour et par reconnaissance pour notre mère et aussi par amour pour vous.

En  effet,  chers frères et chères sœurs,   vous êtes ma sollicitude, si vous me permettez de parler ainsi, mais aussi ma joie et ma consolation : ma sollicitude, parce que je crains toujours que quel­qu'un d'entre vous ne manque à la réunion de fa­mille qui doit avoir lieu au ciel; ma joie et ma consolation, parce que je sais que vous demeurez fidèles aux leçons de notre Mère. Je voudrais faire beaucoup pour le bien de vos âmes, et cette pensée me préoccupe sans cesse devant Dieu; mais il me semble que j'aurai assez fait en vous rendant, pour ainsi dire, celle qui fut toujours, au sein de sa nombreuse famille, un ange de paix, un admira­ble modèle de toutes les vertus, un trésor plus pré­cieux que toutes les richesses.

Notre Père ne sera point oublié, et nous aurons plus d'une fois l'occasion de rendre hommage aux nobles qualités de son esprit et de son cœur, à sa sagesse dans les affaires, à son dévouement pour sa sainte épouse, pour ses enfants, pour son pays et pour l’Eglise.

Les beaux exemples de notre Père et de notre Mère, tels sont, mes bien-aimés, nos vrais titres de noblesse: aussi aimerons-nous à les relire souvent dans ce petit livre, qui sera comme une relique précieuse conservée pieusement dans la famille pendant une longue suite de générations.

Quoique morte, notre vénérable Mère nous par1er a encore dans ces pages. Que nous y dira-t-elle ? Elle nous y répétera à chaque instant la parole que Notre-Seigneur adressa à ses Apôtres la veil­le de sa Passion : « Je vous ai donné l'exempte : faites ce que j'ai fait moi-même. »

Après avoir admiré ce parfait modèle, nous nous sentirons portés à le reproduire en nous, et chacun de nous aimera à se demander dans tous les détails de sa conduite : « Que faisait notre Mè­re en pareille occasion ? Si elle était à ma place, comment se comporterait-elle? Que dirait-elle? Que penserait-elle ? » De celte manière, nous finirons par l'imiter à peu près en toutes choses et nous deviendrons des enfants vraiment dignes d'une telle Mère.

Nous pourrons même la prier; car il y a tout lieu de croire qu'elle jouit d'un grand crédit au­près de Dieu, et quelle peut tout particulièrement nous obtenir la grâce de marcher sur ses traces. Cependant, si je lui donne quelquefois le nom m Sainte, ce n'est point pour la canoniser, mais uni­quement pour mieux faire ressortir ses admirables vertus.

Bien plus, ne cessons point de prier pour celto chère Mère, de peur de prolonger, par notre admi­ration pour ses vertus, son séjour au purgatoire, si elle n'était pas encore au sein du bonheur céleste. Pour moi, je songe à elle, ainsi qu'à nos autres chers défunts, tous les jours à la sainte Messe, et j'aime à redire celte belle oraison du Missel : « 0 Dieu qui nous avez ordonné d'honorer notre père et noire mère, ayez pitié, dans votre clémence, des âmes de mon père et de ma mère, remettez-leur tous leurs péchés et faites que je puisse les voir dans la joie de la clarté éternelle. » Unissons-nous, mes bien-aimés, pour demander tous ensemble celte grâce suprême par l'intercession de la T. S. Vierge, et le bon Dieu ne pourra point nous la refuser.

N'oubliez pas, je vous en conjure, n'oubliez pas de prier pour celui qui a écrit ces lignes, comme il prie pour vous, de peur qu'après avoir prêché aux autres, il ne soit lui-même réprouvé !

Votre frère affectueux et tout dévoué,

C. -M. GUILLOUX

/. p. d. l. M.

T'IEN-TSIN,   LE   19  JUILLET   1888,  EN LA FÊTE DE SAINT VINCENT DE PAUL.