Mort de Marcel Carrier

Débandade des S.S.
Extrait du livre du P. Paul BESCHET S.J.:
"Mission en Thuringe"- pages 216, 217 et 218.

« Chabert, épuisé, combien ne se sont pas accrochés à lui avant d'être abattus, m'adjure en pleurant de le laisser. Je résiste. Faiblement, il me pousse d'un dernier effort. Je le laisse sans tourner la tête (5). Lacan aussi a disparu tout à coup d'à côté de moi (6). Je suis seul entre ces deux groupes, gravissant le chemin forestier, en proie à un fort coup de pompe. Il faut rejoindre René ou Marcel Carrier, qui doivent cheminer en tête. Les pieds nus, gonflés et meurtris, j'avance comme dans un océan de glu qui m'étreint jusqu'à la ceinture. D'un lent coup d'épaule, parcimonieusement calculé, j'abandonne derrière moi, ma couverture trop lourde. René s'est retourné et l'on se donne le bras. C'est convenu, nous serons abattus tous les deux quand ce sera notre heure, lorsque tout aura été consommé et épuisé. Plus vigoureux, René qui tourne encore parfois la tête a cru voir des « rayés » qui s'éloignent dans le bois vers la droite tout seuls. On dirait que ce sont les Tchèques. Un ordre retentit soudain, transmis par les kapos, le long des groupes égrenés sur le chemin. « Alles die Hungaren heraus ! Tous les Hongrois dehors...» Une rafale de mitraillette... C'étaient des Juifs... Avec René, nous sommes parvenus à rejoindre les Russes qui en tête de la colonne remorquent toujours la carriole des S.S. En queue on doit abattre les traînards et les derniers... « Et toi curé, qu'est-ce que tu fais avec les Russes? Viens là, idiot! » Je me retourne, c'est Alfred, le Lageraltester, qui revolver au poing me fait signe de le rejoindre. « Avec les Français, crétin! » On recolle tous deux au petit groupe du docteur Berjonneau qui chemine derrière lui encadré de S.S. En queue, ils tirent toujours... « Qu'est-ce qui se passe? » Le docteur, à bout de forces, me répond par un geste vague: « Attends le signal. » « Weg! » fait soudain Alfred montrant la forêt sur sa gauche. La forêt nous reçut comme un linceul accueille les corps. Le temps de passer le fossé, de trébucher trois mètres plus loin dans un bosquet de bruyère haute, attendant que quelque chose vous atteigne l'échine ou la nuque... Rien n'est venu. Les S.S. ont-ils tiré? La colonne a passé... Plus loin après un temps, on entend une fusillade générale, les Russes de la carriole... et ceux qui étaient avec, Marcel Carrier peut-être... La chasse à l'homme dura encore quelque temps dans la forêt. Puis, ce fut le silence. Il était environ 16 heures. Vous aviez donc Seigneur, gravé nos noms sur la paume de vos mains! René s'est redressé le premier pour dire la prière jociste. Puis clopin-clopant, de ferme en ferme, car il n'y avait pas de place pour nous dans les maisons, de morceau de pain en tasses de jus, nous avons marché jusqu'à la nuit, que l’on passa avec des Polonais libérés sur un peu de paille dans un réduit…"