Un mois après sa parution, Cariras in
veritate, l'encyclique sociale de Benoît XVI, a été lue par un bon nombre,
commentée aussi, reçue de manières diverses. Étant en voyage, j'ai pu en
entendre l'écho en des pays variés. C'est en Europe sans doute qu'on
perçoit le plus sa continuité avec sa première encyclique sur l'amour,
Deus caritas est. Ce n'est pas par hasard que résonne une deuxième fois
sous la plume du pape ce mot très fort, caritas. Serait-ce le mot par
excellence de son pontificat? Pas exactement attendu de l'ancien préfet de
la Doctrine de la foi ... Or, '" le pape Ratzinger insiste sur le fait ~
que toute la doctrine sociale de '" l'Église est doctrine de l'amour et :
de la charité. De la justice, bien sùr, '" mais qui compte en tant que pre-
~ mière étape - indispensable - de la charité.
«In veritate» a pu surprendre. - Non que l'intérêt de Benoît XVI pour
la «vérité» - pour l'intelligence et pour la raison en même temps - surprenne. Pour lui, le
«vrai» est capital, autant que le «beau» et le «bien»: il y a une
structure de l'homme et de la société qu'il faut constamment respecter,
l'homme n'est pas maître de toutes choses, encore moins créateur de soi,
se fabriquant à sa guise. Mais Caritas in veritate veut dire aussi:
charité dans le concret, dans l'action, pas dans le vague du sentiment. Il
s'agit ou presque de ce qu'Ignace de Loyola, dans sa Contemplation pour
obtenir l'amour, appelle «l'amour dans les actes» plus que dans les
paroles. Et comme Ignace dit aussi que l'amour consiste dans le «don »,
c'est l'occasion de remarquer une section entière de l'encyclique de .
Benoît XVI sur le «don» justement: tout n'est pas échange, ni marché, et
l'économie n'est pas «fraternelle» - mot essentiel de Benoît XVI de même -
s'il n'y a pas en elle des parts notables de «don ».
Voilà qui innove clairement. Il s'ensuit l'allusion à l'économie de
«communion». Économie sans aucune espèce de rapacité, peut-on dire, à la
différence de ce qui trop souvent nous est présenté comme l'économie par
excellence, Non que Benoît XVI ne croie pas à la concurrence, à la
compétition même. Mais s'il avait cité Pie Xl, le pape de Quadragesimo
anno (1931), comme il cite Pau] VI, il aurait sûrement retenu, comme ce
lointain prédécesseur, l'abomination - pas moins - de la concurrence «sans
frein », entraînant une sorte de «dévoration» mutuelle, une lutte pas
moins sauvage que celle dont nous a entretenus Karl Marx.
Dans les régions plus pauvres du monde (j'étais ces dernières
semaines en Amérique latine), on a retenu l'extraordinaire retour à Paul
VI: le pape du développement, de Populorum progressio, qui a soutenu avec
le P. Lebret les politiques volontaristes si éloignées du laisser-faire,
laisser-passer, «surtout n'intervenez pas »... qui a marqué la phase hyperlibérale
de l'économie depuis 1989 et conduit à la crise que nous vivons.
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De Paul VI, du développement,
l'intervention de L'État,
on n'avait plus guère parlé ces vingt~cinq dernières années. - Benoît XVI
réhabilite tout cela.
J'ai dit qu'on le lit. Du coup, certains de ceux qui se sentent le plus
«touchés» et contestés se rebiffent et trouvent de mauvais arguments.Sur Internet, dans un texte de l'Institut Acton, j'ai lu la colère face à
la critique du libéralisme par Benoît XVI: et de prétendre qu'en telles
matières, l'Église n'aurait pas d'autorité particulière, et qu'on
pourrait, même catholique, prendre ses distances à leur égard. Ce n'est
pas question de foi, sans doute, mais c'est question de
mœurs, et l'Église est compétente en cela, pas seulement pour l'éthique
sexuelle.
Certains propos forts de Paul VI et de Jean-Paul Il n'ont pas été
reproduits - ce qui ne veut pas dire qu'ils sont rejetés -, quand par
exemple Populorum progressio disait avec une tranchante précision que le
libre marché valait entre partenaires suffisamment égaux entre eux, mais
devenait dangereux et facteur d'injustice quand les partenaires sont trop
inégaux entre eux; ou quand Jean-Paul Il écrivait que le marché ne valait
que pour ce qui est vraiment vendable. Les propos sur l'environnement et
l'écologie touchent vivement aussi. Et non moins ceux sur les styles de
vie que nous devrons réformer ... Voilà autant d'impacts de l'encyclique,
déjà à constater. On en reparlera.
Caritas in veritate est bien une encyclique «sociale », compte tenu des
remarques et recommandations qui s'y accumulent du chapitre III au
chapitre VI: sur le don et le marché, le besoin du don dans l'économie de
marché même, sur le rôle de l'État (aujourd'hui «destiné à croître»), la
mondialisation (qui trouve sa place, sans être au centre), la démographie
contemporaine, l'économie et l'éthique, les organisations internationales,
les cultures, les migrations, l'environnement, la technique enfin.
Cette encyclique est aussi «théologique»: ses premières pages sont du
style des deux premières de Benoît XVI. L'approfondissement de la
signification théologique du développement retiendra l'attention. Cela
avait commencé chez
Paul VI soulignant la «vocation» qui est en tout homme et continué avec
Jean-Paul Il montrant que le développement n'est pas simplement profane,
mais de bien plus grande portée (Sollicitudo rei socialis). Pour Benoît
XVI, il est affaire d'Église - non pas d'elle seule, mais d'elle
nécessairement: «Toute l'Église ( ... ) tend à promouvoir le développement
intégral de l'homme» (CV ll).
L'Église a donc, quant au développement, un «rôle public» qui ne se limite
pas à des activités d'assistance et d'éducation (ibid.), Et
corrélativement, pour chaque homme le développement n'existe pas sans
dimension religieuse: sans perspective de « vie éternelle», sans cela,
l'homme et son développement manquent de souffle, «l'homme a besoin de
Dieu) (CV ll). Sans, l'homme s'expose à la présomption de se sauver par
lui-même et cela mène à un «développement déshumanisé» (CV ll). Tel,
assurément, éprouvera un sentiment d'excès devant ces mots: «L'humanisme
qui exclut Dieu est un humanisme inhumain» (CV 78).
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