Éditions Obsidiane

Paul Verlaine

Les poètes maudits

Préface de François Boddaert
 

Les textes de ce célèbre essai critique de Verlaine parurent premièrement dans la revue littéraire d'avant-garde Lutèce, en 1883 ; ils furent repris l’année suivante en volume. En 1888, l’édition définitive présentera cette fois six maudits dont « Pauvre Lélian » (Verlaine lui-même), quand le volume de Vanier proposait les seuls Corbière, Rimbaud et Mallarmé. C’est cette première édition que nous réimprimons ici. Par « poètes maudits » Verlaine entend les « poètes absolus » (cf. son avant-propos), ignorés de leurs contemporains. Avec ce livre, Verlaine fait suite au Stello de Vigny (1832) qui, à travers les figures de Gilbert, Chénier et Chatterton, tenta de cerner le « profil » psychologique de l’artiste incompris, solitaire et méprisé autant qu’il pose la question de la relation entre l’avant-garde et le public. (préface de F. Boddaert).



Extraits


L'homme était grand, bien bâti, presque athlétique, au visage parfaitement ovale d'ange en exil, avec des cheveux châtain-clair mal en ordre et des yeux d'un bleu pâle inquiétant. Ardenais, il possédait, en plus d'un joli accent de terroir trop vite perdu, le don d'assimilation prompte propre aux gens de ce pays là, – ce qui peut expliquer le rapide dessèchement, sous le soleil bête de Paris, de sa veine, pour parler comme nos pères dont le langage direct et correct n'avait pas toujours tort, en fin de compte !

(...)

Ici une parenthèse, et si ces lignes tombent d'aventure sous ses yeux, que M. Arthur Rimbaud sache bien que nous ne jugeons pas les mobiles des hommes et soit bien assuré de notre complète approbation (de notre tristesse noire, aussi) en face de son abandon de la poésie, pourvu, comme nous n'en doutons pas, que cet abandon, soit, pour lui, logique, honnête et nécessaire.

(...)

Mais le poète disparaissait.
Un prosateur étonnant s'en suivit. Un manuscrit dont le titre nous échappe et qui contenait d'étranges mysticités et les plus aigus aperçus psychologiques tomba dans des mains qui l'égarèrent sans savoir ce qu'elles faisaient.
La Saison en Enfer, parue à Bruxelles, 1873, chez Poot, et Cie, 37 rue aux Choux, sombra corps et biens dans un oubli monstrueux, l'auteur ne l'ayant pas « lancée » du tout. Il avait bien autre chose à faire.
Il courut tous les Continents, tous les Océans, pauvrement, fièrement (riche d'ailleurs, s'il l'eût voulu, de famille et de position) après avoir écrit, en prose encore, une série de superbes fragments, les Illuminations, à tout jamais perdus, nous le craignons bien.





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