Éditions Obsidiane
"Mauvaises langues" de Paol Keineg

Paol Keineg

Mauvaises langues

 

Ce nouveau recueil Mauvaises langues, dont le titre même joue sur les mots, s'inscrit dans le sillage de Triste Tristan, de Là et pas là, et, récemment, d'Abalamour. Long thrène de quatre-vingt six poèmes, qui n'en sont qu'un en vérité, portés par une déréliction native (« Tuer en soi / la haine de soi ») que, seul, l'humour et l'ironie sauvent du désastre. Mais au prix d'une langue chahutée, incisive et précise, qui est la marque de Paol Keineg.
Récentes publications : Abalamour,  dessins de François Dilasser, Les Hauts-Fonds, 2012 ; Les trucs sont démolis, Le temps qu'il fait / Obsidiane, 2008.



Extraits


18.

Ma mère voyait clair à la veille de sa mort,
elle avait fait le pari de l’irréalité
pour gagner sa place au paradis.
Le cimetière n’est pas le paradis,

c’est un lieu de passage
soumis aux contrôles d’identité,
à la politique des corps.
Débarrassée du sien

ma mère ne demande pas la résurrection
des corps,
tout à son âme
qu’elle n’a pas noire

elle ne demande pas pardon,
en rêve elle crie au secours.
À sa droite, je me lave les mains,
je monte la garde en centurion romain.

53.

Loin, très loin des grands textes,
l'envie de me mettre à quattre pattes
comme un vieux chien
pour le plaisir de m'ébrouer après le poème.

La poésie n'est pas ça, ni ça,
elle ne soulage de rien,
elle ne remue pas la queue
(manquerait plus que ça),

il faudrait l'imprimer
sur les boîtes pour chiens
ou comme le réclamait Perros
sur le papier-toilette.

75.

Je ne me suis jamais baigné deux fois
dans le même fleuve
parce qu'il n'y avait pas de fleuve
et parce que je ne sais pas nager.

Voici le Styx, voici le Mississippi —
pour entreprendre la traversée
il faut d'abord croire
à ce qu'on va trouver de l'autre côté.

On se fait une idée exagérée de la mort —
elle obéit à la nécessité —
la poésie est simple comme la mort,
avec des complications inutiles.


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