Éditions Obsidiane

Peter Handke

Jusqu'à ce que le jour vous sépare

ou Une question de lumière
 

Jusqu'à ce que le jour vous sépare a été écrit en français par Peter Handke, en écho à La dernière bande de Samuel Beckett. Ces deux textes ont été mis en scène conjointement à la Comédie de Valence, en novembre 2008.



Extraits


Que voyons-nous là ? Est-ce que cela ne ressemble pas à un tombeau pour les couples romains d'autrefois, homme et femme l'un à côté de l'autre comme taillés dans la pierre - seulement ce ne sont pas que deux têtes qui sont en relief mais le corps entier, un couple grandeur nature, en même temps détaché de la pierre commune, pas en relief, mais pour ainsi dire, des sculptures ou figures entières, chacun debout dans sa niche serrée, l'une près de l'autre. Vêtements et visages montrent le même gris-blanc que l'alcôve qui les abrite. Gris-blanc aussi les yeux, ici comme là fermés. Les deux statues ou figures ont la même attitude, les têtes pareillement alignées.

Cependant en regardant plus longuement, une différence saute aux yeux, et bien plus grande que celle entre homme et femme. L'homme, bien que debout comme la femme à côté de lui, semble, non seulement à cause de ses joues creuses et ratatinées, mais aussi à cause de cette bouche retrécie et de ces tempes concaves, mort et au-delà, comme seulement on peut paraître au-delà. Ça ne change rien que quelqu'un, peut-être un passant éméché, lui ait barbouillé les lèvres en rouge, lui ai collé un nez de clown rouge et embobiné le front de fragments d'une bande magnétique.

La statue de la femme à ses côtés, malgré sa couleur de craie, nous apparaît comme, comment disait-on autrefois ? la vie florissante. Cela provient d'abord, comme seulement dans la vie, de ses lèvres retroussées et du large sourire énigmatique qui s'y dessine, de l'éclat lumineux qui irradie son visage, lequel au lieu de la mort apparaît comme dans un rêve qui se déploie vers sa culmination, et enfin, de ses seins à moitié nus qui, comment disait-on jadis ? qui se gonflent, et que l'on voit aller et venir au rythme de sa respiration.


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