Éditions Obsidiane

Olivier Apert & François Boddaert

Éloge de la provocation

dans les Lettres, et au Dix-Neuvième siècle
Portatif

 

Ce dictionnaire, commodément portatif, illustre son objet à travers les thèmes essentiels du XIXe siècle (d’Absinthe à Zutique) ; on y retrouve, notamment, maints auteurs qui se risquaient alors à penser, à publier et même à vivre à contre-courant, au mépris de l’ennemi commun ‒ le Bourgeois ‒, et à l’enchantement de la postérité ; cet Éloge est flanqué d’un glossaire insolent de certains noms propres. Il fait suite au Portatif de la Provocation (2000)...



Extraits


NATURALISME

C’est le Sâr Joséphin Péladan lui-même qui, en mars 1891, le déclare tout net à Jules Huret : « Doctrinalement, le naturalisme n’a jamais existé » et afin d’étayer son propos un tantinet péremptoire, n’hésite pas à dire tout le bien qu’il en pense : « Ses hommes, sans exception, présentent unies l’ignorance de l’histoire littéraire à l’inconscience en matière d’abstrait… Ce sont des sansculottes, c’est-à-dire des incultivés réduits à leur propre tempérament ». Enfin, le Sâr, du haut de sa magnificence Peladane – Huret le classera parmi les Mages – résume d’une phrase la détestation finde- siècle à l’encontre du Naturalisme agonisant : « Je vois dans le naturalisme un synchronisme du suffrage universel, et le protagonisme anti-esthétique de la canaille : l’écrivain fait sa cour à la rue, comme jadis au roi ». Cela s’appelle tirer sur l’ambulance et le Goncourt survivant, l’Edmond, déjà bien acariâtre parce qu’excédé par le succès populaire de Zola, dut en être malade – terré dans son Grenier tenant davantage du mouroir que du Salon. Malade mais encore lucide puisqu’au même Huret, il avoue que sa chose, le mouvement naturaliste, « disons naturiste, comme s’expriment les Japonais (…) touche à sa fin, qu’il est en train de mourir, et qu’en 1900 il sera défunt et remplacé par un autre ». « Faire sa cour à la rue » n’était pas si mal vu, d’autant que la préface de 1864 à Germinie Lacerteux, le premier roman-manifeste vraiment naturaliste, le revendique non sans un dédaigneux aplomb : « Le public aime les romans faux : ce roman est un roman vrai. Il aime les livres qui font semblant d’aller dans le monde : ce livre vient de la rue » . Les Goncourt auraient mieux fait d’y réfléchir à deux fois avant de pester, fulminer et ratiociner a posteriori contre la réussite illégitime de Zola : « Ce sacré assimilateur que c’est, et avec cela de la sournoiserie de vieux paysan » (Journal, 1883) et, quelques années plus tard : « Mais sacredieu ! c’est un roublard que mon Zola, et il en sait un peu tirer parti, de la folie de l’oeil qu’il m’a chipée ! (…) Au fond, Zola n’est qu’un ressemeleur en littérature » (idem, 1886) – ce que d’ailleurs ne contredit pas la visite de Jules Huret au dit cordonnier l’accueillant par ces mots un brin satisfaits : « mes livres se vendent mieux que jamais, et mon dernier, L’Argent, va tout seul ! » : on ne saurait mieux résumer la haute teneur spirituelle du Mouvement… .


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EXOTISME

À l’aède fluet Pierre Loti, chantre de l’exotisme kitch, il arriva qu’on écrivît à l’adresse suivante :
À Mr. Pierre Loto
Capitaine de vessie
C’en est là une des rançons.


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PÉTROLEUSE

Mythe versaillais qui trouva à s’illustrer sur une fameuse carte postale montrant La Pétroleuse, de rouge vêtue, avec bonnet phrygien, la chevelure hirsute, la mamelle pendante et l’arrosoir incendiaire. Flaubert, en bon rentier réactionnaire, fait d’Eulalie Papavoine (une Communarde parmi d’autres, condamnée au bagne), l’archétype de cette supposée gorgone des barricades : « J’ai été réjoui, ce matin, par l’histoire de Mlle Papavoine, une pétroleuse, qui a subi au milieu des barricades les hommages de dix-huit citoyens, en un seul jour ! Cela est raide ». (à George Sand). Mais les plus perspicaces historiens n’ont jamais trouvé trace d’une seule condamnée pour avoir alors mis le feu aux poudres…



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