Éditions Obsidiane

Rainer Maria Rilke

Chant de l'amour et de la mort du Cornette Christoph Rilke

(bilingue, préface et traduction de Maurice Betz)
 

Rilke écrit ce texte, poème en prose ou nouvelle poétique, en 1899, au retour de son premier voyage en Russie. Un de ses lointains parents, Christoph Rilke, cornette en mission militaire à la frontière de l'Empire austro-hongrois, en lutte avec l'Empire ottoman, fait tragiquement l'expérience de l'amour et de la mort.
L'ouvrage est illustré de vignettes de Jan Voss.

En co-édition avec Les 3P



Extraits de la préface


"C'était cela la poésie; c'était l'expérience de tout cela, devenue sang, regard, geste, et communiquée par les moyens les plus subtils. C'était cela, un poète. Son image, comme un cercle dans l'étang, pouvait grandir dans nos yeux sans qu'elle eût besoin d'être précisée...
Le miracle de cette poésie se renouvelle à tous les âges et sous toutes les latitudes. Cinquante ans après que le jeune Rilke eut déchiffré l'émouvante aventure de son ancêtre le cornette de Langenau dans les volutes d'un ciel de printemps et eut écrit ce bref poème, obéissant à une dictée intérieure, sans une rature, en une seule nuit, ce petit livre a fait la conquête de l'Europe et plus de huit-cent mille exemplaires en sont répandus à travers le monde."
(Maurice Betz)



Extraits

*

Monsieur de Langenau écrit une lettre, tout absorbé. Lentement il moule de grands caractères , sérieux et droits :

          "Ma bonne mère,
Soyez fière : je porte le drapeau,
Soyez sans inquiétude : je porte le drapeau,
Aimez-moi bien : je porte le drapeau..."

Puis il serre la lettre dans sa tunique, dans le coin le plus secret, auprès du pétale de rose. Et il pense : Bientôt elle en sera toute parfumée. Et il pense : Peut-être quelqu'un la trouvera-t-il un jour... Et il pense : ...car l'ennemi est proche.


*

La chambre du donjon est sombre. Mais ils s'éclairent au visage avec leurs sourires. Ils tâtonnent devant eux comme des aveugles et ils trouvent l'autre comme une porte. Presque comme des enfants qui ont peur de la nuit, ils se serrent l'un dans l'autre. Et pourtant ils n'ont pas peur. Il n'est rien qui soit contre eux : pas d'hier, pas de lendemain : car le temps s'est effondré. Et ils fleurissent hors de ses ruines.
Il ne demande pas : "Ton époux ?"
Elle ne demande pas : "Ton nom ?"
Car ils se sont trouvés pour être l'un pour l'autre une race nouvelle. Ils se donneront cent nouveaux noms et se les retireront l'un à l'autre, doucement comme on détache une boucle d'oreille.



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