Éditions Obsidiane

Jules Barbey d'Aurevilly

Les bas-bleus
& autres ridicules du temps

Préface de Léon Bloy
 

Ces textes sont extraits des Ridicules du temps (Rouveyre et Blond, 1883), volume regroupant plusieurs chroniques publiées par Jules Barbey d’Aurevilly (1808-1889), notamment dans la revue satirique Le Nain jaune (entre 1863 et 1865). On trouvera en fin de volume, et pour faire suite à la charge contre les prix de l’Académie française, cinq des fameux Quarantes Médaillons de l’Académie française (1864) : V. Cousin, M. Thiers, Musset, Hugo et Sainte-Beuve. La préface est un fragment de l’étude consacrée au « Connétable des Lettres » par Léon Bloy dans Un brelan d’excommuniés (Savine, 1889).



Extrait
Les lauréats d'Académie


L'historiographe des Ridicules contemporains ne peut pas oublier l'évènement littéraire de la semaine dernière. L'Académie a distribué ses prix annuels, et Paris, une fois de plus, a pu voir la grotesque cérémonie, à laquelle, comme tradition, je préfère de beaucoup, pour mon compte particulier, le ballet des matassins dans M. de Pourceaugnac, ou le divertissement du Malade imaginaire, mais à laquelle pourtant assiste ponctuellement, avec la badauderie toujours prêt à tous les spectacles, un public plus grotesque encore que les Figurants !

Ils ont donc procédé, les quarante archevêques de Reims de la littérature, qui sacrent le génie français, sans Sainte Ampoule et sans Ange pour la leur apporter au couronnement de trois poètes dans leur petite cathédrale du Palais Mazarin : MM. Samuel, Siméon Pétoncal et Mérat – et, comme toujours, ils ont montré, ces bénisseurs, le tact élevé qui les distingue et l'impartialité de ces décisions qui les honorent et qui tient, d'ordinaire, moins compte du mérite des gens que de leurs relations !

M. Manuel – qui vient le premier dans la faveur de l'Académie, – est un professeur, et personne pour cette raison ne s'est étonné qu'il vînt le premier. L'Académie, cette botte d'asperges montées de l'École normale, a l'amour de son origine. Les professeurs de l'Université y trouvent leurs petits Invalides, et tous ces vieux Narcisse casse-noisettes qui s'adorent, aiment à se mirer dans les jeunes visages – ce sont leurs ruisseaux – des jeunes professeurs, qui, en attendant d'être académiciens, aspirent modestement à être lauréats. C'était M. Patin, dont le visage a remplacé celui de M. Villemain, la semaine dernière, qui s'est miré dans le visage de M. Manuel et qui s'est reconnu ! M. Manuel, professeur-poète, auteur de petits vers, comme Oronte, mais de petits vers de professeur qui a du goût, comme ils disent dans leurs schiboleths de Mandarins ! Les vers de M. Manuel sont lissés, vernissés, brossés, époussetés, faits en français comme on fait de jolis vers en latin, pour le Concours Général, avec le même procédé de limage et de gradus, des vers de pédant cultivé, mais qui veut avoir du sentiment tout comme un autre, et son petit bout d'âme à exhiber, sans inconvénient pour les mœurs et la gravité de son état, avec les femmes de sa société qui aiment la mélancolie ! Un tel homme et de pareils vers devaient passer nécessairement avant M. Siméon Pécontal, qui n'a pas, lui, la bonne fortune d'être professeur, et d'avoir sa niche au Journal des Débats et à la Revue des Deux Mondes.




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