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Cerises, pommes et raisins (Quelques poèmes aux fruits de l'enfance) |
Dernière mise à jour le 21/10/2015 |
Un grain de poussière Si une poussière me venait à l'œil, Cette sœur serait-elle reine ? Certes non. Souvent il arrive qu'une poussière me vienne dans l'œil. Rage et dépit s'ensuivent. Mais faut-il y ajouter de la peine ? Certes non. Souvent il arrive Que la peine me vienne au cœur. Mais faut-il en faire la reine ? Certes non. Voilà bien ce qui me peine !
La maison La maison est-elle silencieuse ? La maison dit-elle son nom ? Le vent sans un mot s'engouffre dans les plaintes qui en haut hérissent les cheveux de l'enfant mort. Loin de la pluie qui endort la plaie, loin des contreforts des hautes montagnes, L'oiseau dit son nid sous la tuile. Le vent souffle. La mère souffre. La pluie tombe. Et ainsi, une à une, les lenteurs de la vie s'égrènent, Formant dans le lointain une longue traîne.
Les mots Ils vont et viennent En un ballet Que les sorcières N'ont pas connu Les mots inquiets, Peuple muet, Dits avec peine Par l'homme nu. Nu de pauvreté Nu de solitude, Nu.
Bord de mer Quatre lignes crépusculaires Où, comme au fond de l'étang Lui servant de chaud scapulaire Se cache l'oiseau dormant En son plus lourd silence, Quatre lignes presque anonymes Comme dans le soleil étranger Le petit nuage des homonymes Indique dans ce ciel à peine dérangé La route perdue de l'enfance. Quatre lignes noires et blanches Doucement m'ont pris par la manche Et l'orage sur l'océan sûrement Ne déchaîna jamais pareilles lames Que les désirs fomentés en mon âme Par ces lignes tombées du firmament.
Vu du train Un long et fin chemin au loin luisant sous la lueur du soleil levant comme un serpent bleu au crépuscule, dort à travers les champs. A l'approche du train, il se replie et se tord, dessine un point d'interrogation, une virgule, se contracte comme surpris et agressé, puis il se détend, se déploie et se relâche brusquement en arrière, alors que le train s'enfuit indifférent et tenace.
Souvent les oiseaux La nuit les oiseaux vont souvent A des rendez-vous secrets en des lieux inconnus Où je ne sais quel amant les attend. Veilleur la nuit je les vois souvent Tendre sans tarder au lieu caché Où une étrange mission les appelle Ils vont et viennent et encore, faisant Route du Nord au Sud, du Ponant à 'Orient, D' amont en aval, droits et noirs Dans la nuit qui cache leur secret dessein. Qui sont-ils ? Qui les appelle ? Veileur la nuit Souvent la nuit je les vois voler vers leurs secrets.
Lisbonne La vie lointaine et faible Ville agonisante sortie d'une béance humide et froide Au soleil des ombres chaudes Vives mouettes allant au vent de devant Devant la mer qui est devant le fleuve Fleuve béant humide et froid d'où serpentent mille collines Au flanc desquelles comme à des mamelles pendantes s'accrochent Mille pucerons humains, innocents et avides. Une ambulance stridente strie le bruissement de la ville Un policier immobile attend et regarde Les passants passent Les voitures roulent Le soleil sèche ce que la mer a trempé Le ciel sèche ses larmes Le peuple va et vient Et l'envie de se retirer dans une de ces demeures ombragées, sombres et austères Me prend à la gorge comme la crainte d'un grand mystère.
Le chien J'entends un chien hurler une étrange prière Non pas à Dieu, mais au croque-mort qui naguère A mis dedans la terre ce par quoi tout s'éclaire Dans le cœur abîmé et aimant du pauvre hère. Le refus, la douleur, le désir harassés Font une ronde sur les amours terrassées. Va et vient son regard : les espoirs caressés Gisant ce soir parmi les débris fracassés. Et moi, dans ma chambrette esseulé, j'entends un Train dans le lointain. Mais je vois aussi un Scorpion dressé sur ses pattes pour la fin. Qu'emporte-t-il, ce train, si loin de Pantin ? L'animal dressé a lancé au ciel son Venin. Il a revu en raccourci tout son Destin. Les mains crispées sur un billet de son Amie, il va à l'éternelle guérison. Et moi, dans ma chambrette esseulé, j'attends que Tu m'écrives un signe de vie, d'eau et de feu. Tourne et retourne l'œil inquiet. Quel est ce Désir incongru qui perd son train à ce jeu ?
Guitare Une guitare Chante dans le noir Un enfant bleu Se retrouve vieux Au coin de la rue Des heures perdues.
Fluctuet Sur l'écran blanc et noir un enfant rêveur sautille Entre les noires et les blanches tracées par le soleil sur les pavés de mon enfance. Un vieillard aux yeux clairs sous l'olivier voit sa montagne. Son regard bleu ne sépare plus l'avant de l'arrière Et l'avenir n'est pas divorcé du passé Je suis cet enfant et ce vieillard : brise ou bise qui gonfle ma voile, le vaisseau vogue Peut-être. Tombe l'étoile, s'abîme la Lune, l'océan me porte Ou m'avale. Mon outre est pleine de vin doux, mes sacs sont chargés des meilleurs mets, Pluie et vent sont mes alliés Soleil et terre sont mariés Noé et ses animaux sont mes amis Neuves ou vieilles les heures sont les miennes Ton sourire, tes yeux et tes gestes font partie de l'équipage.
Ordonnance Pour guérir ma douleur Trois gouttes de ton cœur Et du philtre d'amour Deux ou trois fois par jour (cadence à adapter au gré de Volupté). Surtout pas de sirop Douceâtre, mais plutôt Le feu d'un cœur ardent, Seul remède des amants. La lueur de tes yeux Que le soleil vaut mieux, l'eau de ta bouche que celle de la terre et du ciel. Ta grâce, de mille fleurs Vaut cent fois la douceur Qui apaise les maux Du pauvre chemineau En mal d'amour.
Quel nom, mon amie, donner ? (1) Quel nom à ce bel oiseau aux lèvres roses Doucement caché entre ces longs et mols oreillers ? Quel nom à cette nacre rose qu'à peine j'ose Effleurer de tendres baisers assoiffés ? Quel nom à ces blancs vallons et ces blanches collines, Chaude neige où s'enfuit mon désir honteux ? Quel nom à ces trésors pour qui je m'affilie Enfin à ce mâle lignage toujours souffrant D'amour pour sa chère femelle ? Où mes mains ? Où mes baisers ? Où cette partie de moi si dure et chaude et pleine Que rigoureusement ma mère m'interdit de nommer ici ? Où, ma mie, me guide-t-il, ce doux tyran ? Dis-moi, ma mie le nom de ces aimants.
Quel nom, mon amie, donner ? (2) Quel nom, mon amie, donner à ces rêves, à ces paroles ? Quel nom donner à ces pensées vides squelettes ? Idées, pensées, sentiments, images, vous n'habitez pas mon âme ! C'est mon corps qui vous nourrit. Quel nom, mon amie, donner à mon amour ? Il ne peut être né de ce courant d'air, de ce vide De cette parenthèse. Merci, mon Dieu, qui n'existez probablement pas, de ne pas m'avoir donné Votre souffle Et de me faire semblable à mes frères animaux.
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