Georges Brossard



Cerises, pommes et raisins

(Quelques poèmes aux fruits de l'enfance)

Dernière mise à jour le 21/10/2015

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Un grain de poussière

Si une poussière me venait à l'œil,

Cette sœur serait-elle reine ?

Certes non. Souvent il arrive

qu'une poussière me vienne dans l'œil.

Rage et dépit s'ensuivent.

Mais faut-il y ajouter de la peine ?

Certes non. Souvent il arrive

Que la peine me vienne au cœur.

Mais faut-il en faire la reine ?

Certes non. Voilà bien ce qui me peine !



La maison

La maison est-elle silencieuse ?

La maison dit-elle son nom ?

Le vent sans un mot s'engouffre

dans les plaintes qui en haut

hérissent les cheveux de l'enfant mort.

Loin de la pluie qui endort la plaie,

loin des contreforts des hautes montagnes,

L'oiseau dit son nid sous la tuile.

Le vent souffle.

La mère souffre.

La pluie tombe.

Et ainsi, une à une, les lenteurs de la vie s'égrènent,

Formant dans le lointain une longue traîne.



Les mots

Ils vont et viennent

En un ballet

Que les sorcières

N'ont pas connu

Les mots inquiets,

Peuple muet,

Dits avec peine

Par l'homme nu.

Nu de pauvreté

Nu de solitude,

Nu.



Bord de mer

Quatre lignes crépusculaires

Où, comme au fond de l'étang

Lui servant de chaud scapulaire

Se cache l'oiseau dormant

En son plus lourd silence,

Quatre lignes presque anonymes

Comme dans le soleil étranger

Le petit nuage des homonymes

Indique dans ce ciel à peine dérangé

La route perdue de l'enfance.

Quatre lignes noires et blanches

Doucement m'ont pris par la manche

Et l'orage sur l'océan sûrement

Ne déchaîna jamais pareilles lames

Que les désirs fomentés en mon âme

Par ces lignes tombées du firmament.



Vu du train

Un long et fin chemin au loin luisant sous la lueur du soleil levant comme un serpent bleu au crépuscule, dort à travers les champs.

A l'approche du train, il se replie et se tord, dessine un point d'interrogation, une virgule, se contracte comme surpris et agressé, puis il se détend, se déploie et se relâche brusquement en arrière, alors que le train s'enfuit indifférent et tenace.



Souvent les oiseaux

La nuit les oiseaux vont souvent

A des rendez-vous secrets en des lieux inconnus

Où je ne sais quel amant les attend.

Veilleur la nuit je les vois souvent

Tendre sans tarder au lieu caché

Où une étrange mission les appelle

Ils vont et viennent et encore, faisant

Route du Nord au Sud, du Ponant à 'Orient,

D' amont en aval, droits et noirs

Dans la nuit qui cache leur secret dessein.

Qui sont-ils ? Qui les appelle ? Veileur la nuit

Souvent la nuit je les vois voler vers leurs secrets.



Lisbonne

La vie lointaine et faible

Ville agonisante sortie d'une béance humide et froide

Au soleil des ombres chaudes

Vives mouettes allant au vent de devant

Devant la mer qui est devant le fleuve

Fleuve béant humide et froid d'où serpentent mille collines

Au flanc desquelles comme à des mamelles pendantes s'accrochent

Mille pucerons humains, innocents et avides.

Une ambulance stridente strie le bruissement de la ville

Un policier immobile attend et regarde

Les passants passent

Les voitures roulent

Le soleil sèche ce que la mer a trempé

Le ciel sèche ses larmes

Le peuple va et vient

Et l'envie de se retirer dans une de ces demeures ombragées, sombres et austères

Me prend à la gorge comme la crainte d'un grand mystère.



Le chien

J'entends un chien hurler une étrange prière

Non pas à Dieu, mais au croque-mort qui naguère

A mis dedans la terre ce par quoi tout s'éclaire

Dans le cœur abîmé et aimant du pauvre hère.

Le refus, la douleur, le désir harassés

Font une ronde sur les amours terrassées.

Va et vient son regard : les espoirs caressés

Gisant ce soir parmi les débris fracassés.

Et moi, dans ma chambrette esseulé, j'entends un

Train dans le lointain. Mais je vois aussi un

Scorpion dressé sur ses pattes pour la fin.

Qu'emporte-t-il, ce train, si loin de Pantin ?

L'animal dressé a lancé au ciel son

Venin. Il a revu en raccourci tout son

Destin. Les mains crispées sur un billet de son

Amie, il va à l'éternelle guérison.

Et moi, dans ma chambrette esseulé, j'attends que

Tu m'écrives un signe de vie, d'eau et de feu.

Tourne et retourne l'œil inquiet. Quel est ce

Désir incongru qui perd son train à ce jeu ?



Guitare

Une guitare

Chante dans le noir

Un enfant bleu

Se retrouve vieux

Au coin de la rue

Des heures perdues.



Fluctuet

Sur l'écran blanc et noir un enfant rêveur sautille

Entre les noires et les blanches tracées par le soleil sur les pavés de mon enfance.

Un vieillard aux yeux clairs sous l'olivier voit sa montagne.

Son regard bleu ne sépare plus l'avant de l'arrière

Et l'avenir n'est pas divorcé du passé

Je suis cet enfant et ce vieillard : brise ou bise qui gonfle ma voile, le vaisseau vogue

Peut-être.

Tombe l'étoile, s'abîme la Lune, l'océan me porte

Ou m'avale.

Mon outre est pleine de vin doux, mes sacs sont chargés des meilleurs mets,

Pluie et vent sont mes alliés

Soleil et terre sont mariés

Noé et ses animaux sont mes amis

Neuves ou vieilles les heures sont les miennes

Ton sourire, tes yeux et tes gestes font partie de l'équipage.



Ordonnance

Pour guérir ma douleur

Trois gouttes de ton cœur

Et du philtre d'amour

Deux ou trois fois par jour

(cadence à adapter au gré de Volupté).

Surtout pas de sirop

Douceâtre, mais plutôt

Le feu d'un cœur ardent,

Seul remède des amants.

La lueur de tes yeux

Que le soleil vaut mieux,

l'eau de ta bouche que celle

de la terre et du ciel.

Ta grâce, de mille fleurs

Vaut cent fois la douceur

Qui apaise les maux

Du pauvre chemineau

En mal d'amour.



Quel nom, mon amie, donner ? (1)

Quel nom à ce bel oiseau aux lèvres roses

Doucement caché entre ces longs et mols oreillers ?

Quel nom à cette nacre rose qu'à peine j'ose

Effleurer de tendres baisers assoiffés ?

Quel nom à ces blancs vallons et ces blanches collines,

Chaude neige où s'enfuit mon désir honteux ?

Quel nom à ces trésors pour qui je m'affilie

Enfin à ce mâle lignage toujours souffrant

D'amour pour sa chère femelle ?

Où mes mains ? Où mes baisers ?

Où cette partie de moi si dure et chaude et pleine

Que rigoureusement ma mère m'interdit de nommer ici ?

Où, ma mie, me guide-t-il, ce doux tyran ?

Dis-moi, ma mie le nom de ces aimants.



Quel nom, mon amie, donner ? (2)

Quel nom, mon amie, donner à ces rêves, à ces paroles ?

Quel nom donner à ces pensées vides squelettes ?

Idées, pensées, sentiments, images, vous n'habitez pas mon âme !

C'est mon corps qui vous nourrit.

Quel nom, mon amie, donner à mon amour ?

Il ne peut être né de ce courant d'air, de ce vide

De cette parenthèse.

Merci, mon Dieu, qui n'existez probablement pas, de ne pas m'avoir donné

Votre souffle

Et de me faire semblable à mes frères animaux.



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